Résumé
Une pétition déposée au Parlement marocain pour accorder la nationalité aux descendants de Juifs marocains suscite une controverse nationale. La proposition, qui intervient alors que le royaume fait face à des tensions liées à ses relations avec Israël, divise la société, notamment au sein de la communauté juive marocaine et parmi les organisations pro-palestiniennes.
Une pétition contestée
Rabat — Une pétition citoyenne soumise le 11 octobre au Parlement marocain propose d’accorder automatiquement la nationalité marocaine aux descendants de Juifs ayant quitté le pays. Cette initiative, portée par Houcine Ben Messaoud, vise à réintégrer ces descendants dans la société marocaine, en leur accordant des droits civiques, économiques et sociaux.
La pétition propose également que des services ministériels soient créés pour faciliter cette réintégration et garantir que ces personnes puissent jouir de leurs droits constitutionnels et religieux. Elle plaide pour la création de tribunaux spécialisés pour examiner les demandes de nationalité.
Opposition croissante
Cette initiative a provoqué une réaction immédiate de la part des organisations pro-palestiniennes au Maroc, qui accusent cette pétition d’aller à l’encontre des sentiments de la population. Le Front marocain de soutien à la Palestine, en particulier, considère cette proposition comme une tentative de “sionisation” du Maroc, une accusation portée en pleine guerre au Proche-Orient.
Aziz Hanawi, secrétaire général de l’Observatoire marocain contre la normalisation, a déclaré que cette pétition était “en contradiction avec les préoccupations réelles des Marocains”. Pour lui, la proposition est une provocation dans un contexte où les relations avec Israël suscitent une vive controverse.
Critiques au sein de la communauté juive
Même au sein de la communauté juive marocaine, la proposition rencontre des oppositions. Jacky Kadoch, président de la communauté juive de Marrakech-Safi, a critiqué la pétition, affirmant que la loi marocaine permet déjà à toute personne prouvant ses origines marocaines de recouvrer sa nationalité, indépendamment de sa religion. Il a jugé cette nouvelle proposition superflue et sectaire, estimant qu’elle pourrait conduire à une discrimination religieuse.
Certaines voix au sein de la communauté juive ont exprimé des préoccupations similaires, affirmant que la pétition risque d’alimenter la suspicion à leur égard, dans un climat déjà tendu par le conflit israélo-palestinien. Selon une source proche de la communauté, les Juifs marocains ayant conservé leur nationalité se sentent déjà mal à l’aise avec la situation actuelle.
Une normalisation fragile
La proposition de Houcine Ben Messaoud intervient dans un contexte où la normalisation des relations entre le Maroc et Israël, conclue en 2020, reste fragile. Depuis l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre, suivie par une riposte militaire israélienne, le Maroc tente de maintenir une position neutre, tout en faisant face à des pressions internes et externes.
Des manifestations pro-palestiniennes ont régulièrement lieu à travers le pays, rassemblant des milliers de personnes pour dénoncer les violences israéliennes à Gaza. Bien que ces manifestations n’aient pas donné lieu à des incidents majeurs, elles reflètent un mécontentement grandissant au sein de la société marocaine.
Procédures existantes
Sur le plan juridique, la loi marocaine permet déjà aux personnes prouvant leur ascendance marocaine d’obtenir la nationalité, quel que soit leur lieu de résidence ou leur religion. Ceux qui ne disposent pas de documents peuvent faire appel au tribunal rabbinique de Casablanca, qui détient des archives précieuses sur les familles juives du Maroc.
Cette réalité amène certains à remettre en question la nécessité de modifier le code de la nationalité pour une communauté spécifique. Pour eux, les mécanismes actuels sont suffisants et n’exigent pas de révision législative.
L’avenir de la pétition
Malgré l’attention médiatique qu’elle a suscitée, la pétition peine à rassembler le soutien nécessaire pour être examinée par le Parlement. À ce jour, seulement 18 signatures numériques et 270 signatures papier ont été recueillies, bien en deçà des 20 000 signatures requises.
Si la pétition parvient à atteindre cet objectif, le Parlement disposera de quinze jours pour décider de son sort. Une éventuelle adoption pourrait avoir des répercussions non seulement sur la communauté juive marocaine, mais aussi sur les relations diplomatiques du Maroc avec Israël et d’autres pays de la région.
© O Bulamba / ADR