Abidjan, Ivory Coast – En août 2023, les Etats ouest-africains envisageaient une intervention militaire au Niger pour bloquer un putsch et empêcher un troisième pays du Sahel de basculer aux mains d’une junte, après le Burkina et le Mali. 18 mois plus tard, certains pays côtiers leur tendent désormais la main.
Entre temps, les trois pays sahéliens où des militaires ont renversé les pouvoirs civils entre 2020 et 2023, ont créé une confédération, l’Alliance des Etats du Sahel (AES) et décidé de quitter la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao).
Un départ effectif le 29 janvier mais qui ne semble pas forcément isoler les pays sahéliens dans la région.
– La main tendue du Togo et du Ghana –
La menace de l’intervention militaire de la Cedeao en août 2023 contre le Niger a marqué un point de rupture pour les pays sahéliens qui estiment que l’organisation est inféodée à Paris.
Défenseurs d’un nouveau modèle de relations internationales, basé sur la souveraineté, les trois pays ont tourné le dos à l’ex-puissance coloniale française et se sont rapprochés d’autres partenaires comme la Russie, la Turquie ou la Chine.
Récemment, plusieurs pays de la Cedeao semblent avoir adopté une position moins hostile envers l’AES, en particulier le Togo qui joue depuis des années un rôle de médiateur dans les différentes crises politiques de la région.
Jeudi, le ministre des Affaires étrangères togolais, Robert Dussey a même assuré que son pays pourrait rejoindre l’AES, estimant que les populations y étaient favorables.
Au Ghana, le président John Dramani Mahama élu le mois dernier semble également vouloir faire évoluer la position de son pays.
Lors de son investiture, la présence à Accra du capitaine Ibrahim Traoré, chef de la junte du Burkina Faso qui effectuait son premier voyage en Afrique hors de l’AES, n’est pas passée inaperçue. Et jeudi, M. Mahama a reçu le Premier ministre malien Abdoulaye Maïga.
Cette visite « suggère qu’Accra considère qu’il est important de combler les fossés et de maintenir le dialogue malgré la polarisation actuelle », estime Vladimir Antwi-Danso, expert ghanéen en relations internationales.
Du côté du Sénégal, l’élection de Bassirou Diomaye Faye a également permis un rapprochement avec l’AES. En mai, il avait fait une visite au Mali et au Burkina Faso, mais sa médiation pour tenter de convaincre les pays sahéliens de rester dans la Cedeao s’est soldée par un échec.
– Des problématiques sécuritaires communes –
Si les pays sahéliens affrontent des groupes jihadistes depuis plus de dix ans, le nord de certains pays côtiers n’est pas épargné par les attaques.
Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), visage d’Al-Qaïda dans la région, ne fait pas mystère de sa volonté d’expansion vers le Ghana, le Togo et le Bénin notamment.
Au début du mois, 28 soldats ont été tués dans le nord du Bénin près des frontières du Niger et du Burkina Faso, l’une des plus meurtrières de l’histoire du pays.
« Le Togo et le Bénin sont les plus touchés après l’AES. Il n’y a pas 10.000 solutions, il faut mettre nos forces ensemble », affirme une source sécuritaire ouest-africaine.
« Les mouvements jihadistes sont en train de réussir à déstabiliser tous les Etats de la région. On ne peut pas avoir une approche conséquente du GSIM si on ne trouve pas de compromis avec ses voisins », note pour l’AFP Francis Akindès, sociologue et professeur à l’université de Bouaké en Côte d’Ivoire.
– L’essentiel accès à la mer –
La rupture de l’AES avec la Cedeao pose également des questions économiques car les trois pays sahéliens sont enclavés et doivent donc garder un accès à la mer, crucial pour leur approvisionnement.
« On tire des ressources importantes du rôle de transit qui passe par le Togo. S’il y a une exclusivité avec le Togo, il y a de forts avantages à garder les liens », avec les pays de l’AES, pointe l’historien togolais Michel Goeh-Akue.
La solution du Togo est déjà utilisée actuellement par le Niger, qui maintient sa frontière fermée avec son voisin béninois avec lequel les relations sont tendues.
Les convois sont ainsi obligés de faire de périlleux détours à travers les zones où opèrent des jihadistes pour rejoindre Niamey et sont régulièrement la cible d’attaques.
« La voie du Togo est très longue, ça a un effet sur les prix des produits importés. On imagine mal le Burkina ou le Mali s’autonomiser vis-à-vis de son voisin la Côte d’Ivoire », tempère Francis Akindès.
Importante puissance économique de la région, la Côte d’Ivoire entretient des relations tendues avec les juntes sahéliennes qui lui reprochent notamment sa proximité avec la France.
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