Par Odon Bulamba
Publié le 24/10/2024
Depuis juillet 2023, les relations entre le Bénin et le Niger traversent une zone de turbulence sans précédent, marquée par une crise diplomatique profonde. Le renversement du président élu Mohamed Bazoum par le général Abdourahamane Tiani, suivi de sanctions imposées par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), a entraîné une rupture politique et économique significative entre les deux pays. Aujourd’hui, la nomination de nouveaux ambassadeurs laisse entrevoir des signes de désescalade. Mais derrière ce semblant de normalisation, se cachent des défis persistants qui compliquent la réconciliation : la sécurité, la fermeture des frontières et les enjeux économiques restent autant d’obstacles à franchir.
L’héritage d’une crise politique
Le coup d’État militaire de juillet 2023 a bouleversé le paysage politique ouest-africain. Le Niger, autrefois considéré comme un bastion de stabilité relative, a plongé dans l’incertitude politique avec la montée au pouvoir d’une junte dirigée par le général Abdourahamane Tiani. Cette transition brutale a suscité des réactions mitigées, mais c’est le soutien affiché de certaines nations, comme le Bénin, aux sanctions économiques imposées par la Cedeao qui a véritablement attisé les tensions.
Le général Tiani, réagissant à ce qu’il a perçu comme une ingérence et une pression internationale, a rappelé ses ambassadeurs, y compris celui en poste à Cotonou, et a ordonné la fermeture des frontières avec son voisin méridional. L’objectif était clair : démontrer une souveraineté inflexible et riposter contre ce qu’il qualifiait “d’activisme anti-junte”. De son côté, le président béninois Patrice Talon, bien que soucieux de maintenir une diplomatie régionale stable, a été contraint de se ranger derrière les décisions de la Cedeao, créant ainsi une fracture avec Niamey.
Sécurité : Le cœur du blocage
Si la récente nomination de nouveaux ambassadeurs peut être interprétée comme une volonté de rétablir le dialogue diplomatique, la réouverture des frontières reste une question épineuse, essentiellement liée à des préoccupations sécuritaires majeures. Le Niger, en proie à des attaques terroristes répétées, notamment dans la région de Tillabéri, maintient que la situation à la frontière avec le Bénin n’est pas propice à une reprise immédiate des échanges. Selon Niamey, des groupes jihadistes s’infiltrent par les zones frontalières pour mener des attaques déstabilisatrices, exacerbant ainsi un climat de méfiance mutuelle.
L’accusation la plus sensible repose sur la présence supposée de bases militaires étrangères, notamment françaises, au Bénin, bases qui, selon la junte nigérienne, serviraient à préparer des opérations contre le Niger. Bien que Cotonou ait vigoureusement nié ces affirmations, la suspicion persiste. La réouverture des frontières dépendra en grande partie de la capacité des deux États à trouver un compromis sur ces questions de sécurité, une tâche rendue plus difficile par le climat de tensions régionales.
Les coûts économiques de la crise
Au-delà des enjeux politiques et sécuritaires, la fermeture prolongée des frontières a eu un impact économique dévastateur sur les deux nations. Pour le Niger, dont l’économie repose en partie sur l’exportation de pétrole brut, l’interruption du transit via le pipeline reliant Agadem au port béninois de Sèmè-Kpodji a coûté des millions de dollars par jour. Ce pipeline, qui devait permettre au Niger d’exporter 90 000 barils de pétrole quotidiennement, est désormais fermé, paralysant non seulement l’économie nigérienne, mais aussi les revenus du Bénin, qui bénéficiait d’un droit de transit.
L’arrêt des échanges commerciaux a également exacerbé les difficultés au port de Cotonou, un nœud vital pour les importations et exportations régionales. Le tiers du trafic annuel du port était destiné au Niger, représentant une part importante des recettes fiscales béninoises. Cette perte de flux économique met les deux pays dans une situation délicate : tandis que les prix des denrées alimentaires et des matières premières continuent de grimper, les populations des deux côtés de la frontière en paient le prix fort, accentuant les tensions sociales.
Perspectives de réconciliation : Entre optimisme et prudence
Malgré la gravité de la situation, les efforts de médiation déployés par des acteurs régionaux, tels que les anciens présidents béninois Nicéphore Soglo et Thomas Boni Yayi, ont permis de maintenir un canal de communication ouvert. Ces initiatives ont abouti à des pourparlers entre les chefs d’état-major des deux pays, qui devront se rencontrer pour discuter des modalités d’une éventuelle réouverture des frontières. Le fait que les deux nations aient décidé de nommer de nouveaux ambassadeurs est en soi un signe positif, témoignant d’une volonté commune d’apaiser les tensions.
Cependant, la route vers une réconciliation complète reste semée d’embûches. La méfiance mutuelle, nourrie par des années de rivalités sous-jacentes et par les récents développements géopolitiques, est loin d’être dissipée. Les questions de sécurité continuent de dominer les discussions, et sans garanties concrètes de part et d’autre, les relations pourraient demeurer fragiles.
Conclusion : Un chemin sinueux vers la normalisation
La crise diplomatique entre le Bénin et le Niger est symptomatique des défis plus larges auxquels l’Afrique de l’Ouest est confrontée : instabilité politique, insécurité chronique, et interdépendance économique. Si les récentes nominations diplomatiques sont encourageantes, elles ne suffiront pas à elles seules à résoudre les différends. Le véritable test viendra lorsque les discussions sécuritaires aborderont la question de la réouverture des frontières et de la relance des échanges économiques. En attendant, les deux nations devront naviguer prudemment, car un retour aux hostilités mettrait en péril non seulement leurs économies respectives, mais aussi la stabilité de toute la région.
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