Résumé
Les relations déjà tendues entre Alassane Ouattara, Président de la Côte d’Ivoire, et son prédécesseur Laurent Gbagbo, ont récemment connu une nouvelle détérioration. Alors que Ouattara prépare un remaniement de son gouvernement, Gbagbo remet en question la légitimité de ce dernier et réaffirme ses revendications électorales. Le climat politique devient de plus en plus fragile, ravivant des tensions historiques entre les deux figures politiques ivoiriennes, malgré une tentative de réconciliation en 2021.
Abidjan – Les relations entre Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo, deux des plus grandes figures politiques de la Côte d’Ivoire, se sont à nouveau dégradées. Plus d’une décennie après leur affrontement électoral qui avait plongé le pays dans une crise post-électorale sanglante, les deux hommes se retrouvent une fois de plus sur une trajectoire conflictuelle. Cette situation survient alors que le président Ouattara s’apprête à mettre en œuvre un remaniement gouvernemental majeur, réduisant le nombre de ministres et réorganisant son équipe dirigeante.
Le dernier épisode en date entre les deux hommes remonte au 27 juillet 2021, lorsqu’ils s’étaient retrouvés pour ce qui avait été présenté comme une réconciliation nationale, après le retour de Laurent Gbagbo dans son pays natal. Gbagbo, qui avait passé dix ans en exil et en détention après avoir été acquitté par la Cour pénale internationale (CPI) des charges de crimes contre l’humanité, semblait alors prêt à tourner la page. Cette rencontre avait suscité de l’espoir chez les Ivoiriens et les observateurs internationaux quant à une possible stabilisation de la situation politique. Cependant, les récents développements laissent entrevoir un retour à la confrontation.
Un remaniement attendu, des tensions qui resurgissent
Le président Ouattara a annoncé un remaniement gouvernemental, ramenant le nombre de ministres de 41 à 30, une décision attendue depuis plusieurs mois. Ce nouveau gouvernement, plus restreint, s’inscrit dans le cadre de la réorganisation politique en cours, avec une volonté d’optimiser la gouvernance et d’apporter du “sang neuf” à l’équipe dirigeante. Les observateurs politiques estiment que ce changement structurel pourrait également être une réponse aux critiques internes et à l’affaiblissement des alliances politiques, notamment celle avec Gbagbo.
La salle de réunion du futur palais présidentiel, actuellement en construction, est conçue pour ne contenir que 35 membres, ce qui confirme les intentions du président de réduire les effectifs au sein de son cabinet. Toutefois, derrière ces décisions de réorganisation, certains analystes voient la trace d’une manœuvre politique visant à consolider le pouvoir d’Alassane Ouattara, alors que les relations avec Gbagbo se détériorent à nouveau.
Le point de rupture : les provocations de Gbagbo
Le 5 février 2022, lors d’un rassemblement dans son village natal de Mama, Laurent Gbagbo a publiquement contesté la légitimité du pouvoir de Ouattara. Il a déclaré qu’il était temps de “rechercher la vérité des urnes”, estimant que les élections qui avaient conduit Ouattara au pouvoir étaient entachées de fraude. Ce discours, bien que prononcé dans une ambiance locale et relativement intime, a rapidement pris une dimension nationale, devenant un point central dans l’escalade des tensions entre les deux camps.
Cette attaque verbale, interprétée par de nombreux observateurs comme une provocation, a replacé au premier plan la question de la rivalité politique entre les deux hommes. Alors que Ouattara maintient pour l’instant une position de retenue publique, son entourage discute de la meilleure manière de répondre à ces déclarations. Deux options sont principalement envisagées : relancer une ancienne affaire judiciaire impliquant Gbagbo, ou opter pour une approche plus conciliante, visant à ignorer ces provocations et à se concentrer sur le développement du pays.
Les répercussions d’un passé non révolu
Laurent Gbagbo, qui avait été accusé de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI) après la crise post-électorale de 2010-2011, avait été acquitté en 2019 et autorisé à rentrer en Côte d’Ivoire en juin 2021. À son retour, il avait été accueilli par des partisans en liesse, marquant ainsi un retour symbolique sur la scène politique ivoirienne. Cependant, Gbagbo n’a jamais totalement oublié les dix années qu’il a passées hors du pays, loin de la politique active.
Lors d’un discours tenu le 13 février devant un groupe d’évangélistes, Gbagbo a évoqué son exil, soulignant que nombreux étaient ceux qui pensaient que sa carrière politique était terminée. “Ils avaient tort”, a-t-il affirmé, en des termes qui résonnent aujourd’hui comme une déclaration de guerre politique contre le régime d’Alassane Ouattara. Ce ressentiment personnel, nourri par les années de détention et de marginalisation, semble être l’un des moteurs de la reprise de cette confrontation politique.
Les enjeux cachés des négociations post-réconciliation
Au-delà des provocations publiques, des tensions moins visibles se sont également installées autour de questions financières et légales. Le camp de Laurent Gbagbo reproche à Alassane Ouattara de ne pas avoir respecté certains accords, notamment concernant le versement des indemnités et des arriérés de salaire qui lui seraient dus pour les années passées en exil. Bien que les détails de ces accords restent flous, cette question est souvent évoquée comme l’une des principales causes de la détérioration des relations entre les deux hommes.
En outre, Laurent Gbagbo est toujours sous le coup de certaines condamnations judiciaires, ce qui l’empêche de retrouver pleinement ses droits civiques et politiques. Cette situation contribue à alimenter l’amertume de Gbagbo et à renforcer son désir de revanche politique. Pour l’instant, le gouvernement d’Alassane Ouattara semble vouloir éviter une escalade judiciaire, mais la question demeure sensible et pourrait être réactivée à tout moment.
La Côte d’Ivoire à l’heure des choix
Face à cette résurgence de tensions, l’avenir politique de la Côte d’Ivoire demeure incertain. Le président Ouattara, qui s’efforce de maintenir la stabilité du pays, doit maintenant faire face à un Laurent Gbagbo résolu à remettre en cause son autorité. Si le camp Ouattara semble pour l’instant pencher pour une approche modérée, espérant éviter un nouveau cycle de violence politique, il n’est pas exclu que la situation évolue rapidement en fonction des événements.
La patience de Ouattara, bien que notable jusqu’à présent, pourrait atteindre ses limites si Gbagbo continue d’escalader la rhétorique contre son régime. Le pays tout entier se trouve ainsi à un carrefour, avec deux anciens rivaux qui semblent à nouveau prêts à s’affronter sur la scène politique nationale, malgré les efforts de réconciliation des dernières années.
© Odon Bulamba /ADR