Abidjan, Côte d’Ivoire – « Je ne connais pas Giscard d’Estaing. Je ne sais pas qui il était! »: Franck Hervé Mansou, un habitant d’Abidjan de 31 ans, est ravi que la capitale économique ivoirienne débaptise le boulevard du nom de l’ancien président français et d’autres axes routiers.
Plusieurs pays ouest-africains ont décidé ces dernières années de renommer une partie de leur espace public, dénonçant une présence encore trop visible de l’ancienne puissance coloniale française, comme le Sénégal, ou de manière plus radicale comme les régimes militaires du Niger, du Burkina Faso et du Mali.
Mais la Côte d’Ivoire, l’un des derniers alliés de Paris dans la région, n’a pas souhaité s’inscrire dans cette démarche, affirme à l’AFP le responsable du projet au ministère de la Construction, Alphonse N’Guessan.
Le pays a simplement « décidé de moderniser son système » de dénomination de rues, indique-t-il. L’opération a débuté en mars et doit s’étaler sur plusieurs mois. Les nouvelles plaques sont aux couleurs du pays, oranges ou vertes.
Les noms des rues « n’étaient pas forcément utilisés par nos populations » alors qu’un nom « doit retracer notre histoire, notre culture », insiste-t-il.
Sur l’emblématique « boulevard VGE », qui relie le centre de la ville à l’aéroport sur environ huit kilomètres, le nom du président français de 1974 à 1981 a ainsi disparu au profit de celui de Félix Houphouët-Boigny, premier président de la Côte d’Ivoire, (1960-1993).
– « Expliquer à nos enfants » –
Le boulevard de France porte désormais le nom de la première Première dame de Côte d’Ivoire, Marie-Thérèse Houphouët-Boigny. Et le boulevard de Marseille a été renommé du nom de l’ancien président de l’Assemblée nationale Philippe Grégoire Yacé.
« Les voies de Côte d’Ivoire doivent porter les noms des révolutionnaires ivoiriens, des politiciens ivoiriens. Là, dans l’avenir, on peut expliquer à nos enfants qui est qui », juge Franck Hervé Mansou.
Jean-Bruce Gnéplé, un Abidjanais d’une quarantaine d’années, abonde: « c’est une grande satisfaction déjà pour nous parce que le président Félix Houphouët Boigny a été et restera encore dans la mémoire de tous les Ivoiriens », dit-il.
Selon l’urbaniste Wayiribé Ismaïl Ouattara, « il est important pour les Africains de s’identifier au développement de la ville ». Notamment pour une « population qui devient de plus en plus jeune » et n’a pas les mêmes références que ses aînés, estime-t-il. En Côte d’Ivoire, 75% des habitants ont moins de 35 ans.
– « Mémoire collective » –
Mais la dénomination des rues « ne vise pas à effacer la mémoire collective », commente Wayiribé Ismaïl Ouattara. Et pour un jeune, passer devant le nom d’un gouverneur colonial « ne créera pas le même ressenti que pour la personne qui a vécu la colonisation », estime-t-il.
Toutes les voies rendant hommage à des figures françaises n’ont d’ailleurs pas été renommées.
La commune de Treichville, du nom de l’administrateur colonial et explorateur Marcel Treich-Laplène et celle de Bingerville, nommée d’après le gouverneur colonial Louis Gustave Binger, en banlieue d’Abidjan, n’ont ainsi pas été l’objet de changement.
Sur les quelque 15.000 voies que compte Abidjan, environ 600 seulement portaient un nom jusqu’ici.
De nombreuses rues ont alors été nommées pour la première fois, en référence à des personnalités politiques, scientifiques, artistiques, sportives, ou des concepts: un choix en concertation avec des organisations de la société civile ou des chefs traditionnels, a précisé M. N’Guessan.
D’ici 2030, une quinzaine de villes ivoiriennes devraient faire de même.
Au-delà de l’aspect pratique, la dénomination des rues a un impact sur le tourisme, selon l’urbaniste Ouattara. « Il faut vraiment qu’on puisse nommer tous ces espaces, pour le tourisme notamment, pour qu’une personne puisse se repérer d’un endroit à un autre et pour que la ville puisse s’ouvrir au monde entier », estime-t-il.
© Agence France-Presse