Tripoli, Libye – (AFP) – En Libye, des habitants observent la chute du pouvoir syrien avec une impression de déjà-vu et l’espoir que « leurs frères » du Moyen Orient réussissent mieux que le pays nord-africain, toujours instable et divisé, 10 ans après l’effondrement du régime de Mouammar Kadhafi.
« Cela fait 14 ans que les Syriens attendent leur heure, alors que leur Printemps arabe avait été brisé en plein élan. Ils sont enfin délivrés de plus d’un demi-siècle de tyrannie », se réjouit auprès de l’AFP al-Mahdiya Rajab, une enseignante de 47 ans.
A l’issue d’une offensive de 11 jours, une coalition rebelle dominée par le groupe islamiste sunnite radical Hayat Tahrir al-Sham (HTS) s’est emparée il y a une semaine de Damas, mettant fin à un demi-siècle de pouvoir de la famille Assad.
Comme en Libye à l’annonce en octobre 2011 de la chute et la mort de Mouammar Kadhafi après 42 ans de règne, les Syriens sont descendus massivement dans la rue pour fêter la « victoire de la Révolution ».
Certains habitants de Tripoli comme l’activiste Sami Essid, 55 ans, rencontré par l’AFP, perçoivent des similitudes avec les premiers temps de l’ère post-Kadhafi.
« Au début, il y avait de l’espoir et le peuple était satisfait, apaisé et heureux », souligne-t-il.
En 2012, la Libye réussissait à organiser les premières élections libres de son histoire pour choisir les 200 membres du Congrès national (Parlement), suivies en 2013 de municipales, deux scrutins jugés réussis.
Mais en août 2014, après des semaines de violences et combats, une coalition de milices s’emparait de Tripoli, à l’ouest, et y installait un gouvernement, forçant le Parlement nouvellement élu à s’exiler à l’est.
Malgré la désignation en décembre 2015 de Fayez al-Sarraj comme Premier ministre après un accord interlibyen parrainé par l’ONU, les divisions n’ont cessé de se creuser entre les deux parties, sur fond de prolifération de milices armées et d’ingérences étrangères.
Certaines villes ont aussi vu une poussée de groupes jihadistes dont l’organisation Etat islamique (EI).
Pour M. Essid, le grand « point commun entre la Syrie et la Libye c’est le soulèvement de leurs peuples contre l’injustice, la tyrannie et la dictature ».
Mais en Libye, « progressivement, nous avons découvert que les luttes pour le pouvoir et pour les richesses du pays étaient, en réalité, l’objectif depuis le départ », ajoute-t-il.
– « Plus délicate » –
« Nous espérons que nous ne verrons pas de division et l’émergence de milices en Syrie, comme cela s’est produit en Libye. Le danger en Syrie c’est qu’il y a différentes confessions, ce qui peut mener à des luttes de pouvoir et des clivages communautaires », relève-t-il.
La Libye, qui possède les réserves en hydrocarbures les plus abondantes d’Afrique, est aujourd’hui dirigée par deux gouvernements parallèles, celui de l’ouest sous la houlette du Premier ministre Abdelhamid Dbeibah et l’autre à l’est affilié au puissant maréchal Khalifa Haftar, qui contrôle aussi le sud.
Pour Motaz Ben Zaher, « bien qu’elles aient toutes deux visé à renverser un régime, il n’y a pas de réel point commun entre les révolutions libyenne et syrienne ».
Selon ce quinquagénaire membre de la société civile, « les contextes diffèrent profondément, que ce soit en termes d’ampleur de l’intervention internationale ou de géographie ».
Comme pays frontalier d’Israël, la Syrie vit, à ses yeux, une situation « bien plus délicate que celle de la Libye », même s’il espère « que la Syrie tirera les leçons des expériences vécues par d’autres nations ».
Il faudra, juge-t-il, que les Syriens soient « à la hauteur des défis et que leurs dirigeants soient conscients des enjeux complexes » auxquels leur pays est confronté.
Pour Mme Rajab, professeure d’histoire et géographie à Zawiya, à 45 km à l’ouest de Tripoli, les Libyens qui regrettent une certaine stabilité du pays sous Kadhafi, ont oublié « les plus de quatre décennies de tyrannie durant lesquelles toutes les institutions d’un Etat naissant après l’indépendance ont été méthodiquement sabotées ».
« J’espère que les Syriens n’en arriveront pas là et leur souhaite une expérience meilleure que la nôtre », ajoute l’enseignante.
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