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Par Odon Bulamba
Kinshasa, RDC — Novembre 2024

Lorsque Félix Tshisekedi a déclaré, en ouvrant les États Généraux de la Justice, que « notre justice est malade », il ne faisait pas qu’un constat. Il lançait un défi. Après des décennies de dysfonctionnements, de politisation et de corruption endémique, ces assises promettent une « thérapie de choc » pour guérir un appareil judiciaire perçu comme l’un des plus inefficaces d’Afrique. Mais cette promesse soulève une question cruciale : la justice congolaise peut-elle être réellement réformée ou est-elle intrinsèquement liée à un système qui favorise les puissants tout en négligeant les citoyens ?


Héritage colonial et continuité des injustices

L’état actuel de la justice congolaise est enraciné dans une histoire de domination et de contrôle. Hérité de l’administration coloniale belge, le système judiciaire n’a jamais été conçu pour servir les citoyens. À l’époque coloniale, les lois servaient à réprimer les populations locales et à protéger les intérêts des colons. Après l’indépendance, cette structure n’a pas été transformée ; elle a été recyclée pour servir de levier aux nouveaux dirigeants.

Cette continuité explique en partie pourquoi la justice congolaise reste punitive et élitiste. La prison centrale de Makala, emblématique des dysfonctionnements du système, en est un exemple poignant. Conçue pour 1 500 détenus, elle en accueille aujourd’hui plus de 9 000 dans des conditions insalubres et inhumaines. Des milliers de détenus attendent des procès pendant des années, souvent pour des délits mineurs ou sans preuves suffisantes. Un ancien détenu confie : « Ici, tout s’arrête aux portes. C’est l’oubli complet. » Ces témoignages mettent en lumière une réalité brutale : la justice en RDC est souvent une condamnation à vie pour les plus vulnérables.


Politisation : un mal nécessaire ou une entrave fatale ?

La politisation de la justice en RDC est une plaie béante. Des magistrats aux greffiers, la pression politique influence chaque niveau du système. Des tribunaux sont transformés en champs de bataille pour neutraliser des adversaires ou protéger des alliés. Mgr Donatien Nshole, secrétaire général de la Conférence épiscopale nationale congolaise, a dénoncé cette réalité avec force : « La justice est devenue une arme pour régler des comptes. »

Mais cette politisation, aussi toxique soit-elle, a aussi permis une certaine stabilité. Dans un pays marqué par des conflits internes, certains analystes soutiennent que la politisation judiciaire agit comme un filet de sécurité. En l’absence d’un système pleinement fonctionnel, les élites utilisent la justice comme un outil pour maintenir l’ordre. Toutefois, ce statu quo alimente l’impunité et éloigne la RDC d’un véritable État de droit.

La question essentielle est donc la suivante : peut-on réformer un système où la justice est à la fois un outil de pouvoir et un rempart contre l’anarchie ? Tshisekedi doit répondre à ce dilemme en assurant une transition progressive vers une magistrature réellement indépendante.


Entre modernité et traditions : une justice à double vitesse

Une autre tension réside dans l’écart entre la justice formelle et les pratiques traditionnelles. En milieu rural, la majorité des Congolais se tournent vers les mécanismes coutumiers pour résoudre les conflits. Ces pratiques, ancrées dans les réalités locales, sont perçues comme plus rapides, moins coûteuses et plus accessibles que les tribunaux. Cependant, elles sont aussi critiquées pour leurs biais potentiels, notamment envers les femmes et les minorités.

L’intégration des mécanismes coutumiers dans le système judiciaire formel est souvent évoquée comme une solution pour désengorger les tribunaux et rapprocher la justice des citoyens. Mais cela soulève une question complexe : peut-on moderniser la justice tout en respectant les traditions locales ? Des pays comme le Rwanda et le Ghana, qui ont intégré des pratiques coutumières, offrent des exemples intéressants, mais la RDC devra développer une approche propre pour éviter de renforcer les inégalités.


L’échec des réformes passées : une leçon à tirer

Les États Généraux de 2024 ne sont pas la première tentative de réforme en RDC. Les assises de 2015, organisées sous Joseph Kabila, avaient produit 350 recommandations ambitieuses, allant de l’indépendance judiciaire à l’amélioration des infrastructures. Mais presque aucune n’a été mise en œuvre. L’absence de mécanismes de suivi, le manque de volonté politique et les intérêts concurrents avaient enterré ces propositions.

Tshisekedi doit éviter ces écueils en garantissant un cadre clair pour la mise en œuvre des réformes actuelles. Cela inclut des audits réguliers, une transparence totale et l’implication de la société civile. Si les promesses ne sont pas traduites en actions concrètes, elles risquent de creuser encore davantage le fossé entre le peuple et son gouvernement.


Le rôle de la communauté internationale : partenaire ou obstacle ?

La réforme de la justice en RDC n’est pas seulement une affaire interne. Avec ses vastes ressources naturelles et son rôle stratégique en Afrique centrale, le pays est sous le regard attentif de partenaires internationaux. Les États-Unis, l’Union européenne et la Chine ont tous un intérêt direct dans la stabilisation du pays. Une justice fonctionnelle pourrait renforcer la confiance des investisseurs et stabiliser les régions en conflit.

Cependant, cette attention internationale peut aussi devenir un frein. Les agendas extérieurs ne correspondent pas toujours aux priorités locales. Alors que les Congolais espèrent une justice équitable et accessible, certains partenaires se concentrent davantage sur la lutte contre la corruption liée à l’exploitation des ressources. La RDC devra naviguer avec prudence pour équilibrer ces attentes sans sacrifier ses propres aspirations.


Les attentes du peuple : des résultats visibles, pas des discours

Le peuple congolais a entendu des promesses similaires dans le passé. Ce qu’il attend aujourd’hui, ce sont des résultats concrets et mesurables. Une justice accessible est au cœur de ces attentes : des frais judiciaires réduits, des procédures accélérées et des juges impartiaux.

La réforme des prisons est également essentielle. Désengorger des établissements comme Makala, introduire des alternatives à la détention préventive et améliorer les conditions carcérales sont des mesures attendues avec impatience.

Mais au-delà des aspects techniques, les Congolais veulent retrouver confiance dans leurs institutions. Ils souhaitent une justice qui protège leurs droits, pas une justice qui les oppresse.


Une opportunité historique pour Tshisekedi et la RDC

Les États Généraux de la Justice offrent à Félix Tshisekedi une occasion rare de transformer un système défaillant en un véritable pilier de l’État de droit. Mais cette transformation ne sera possible que s’il surmonte des obstacles structurels, historiques et politiques profondément enracinés.

Si les réformes réussissent, elles pourraient inaugurer une nouvelle ère pour la RDC, où la justice ne serait plus un privilège réservé à quelques-uns, mais un droit accessible à tous. Si elles échouent, elles risquent de renforcer le cynisme et de miner davantage la confiance populaire.

Pour le peuple congolais, fatigué de promesses sans suite, ce moment est une lueur d’espoir fragile. Tshisekedi a une opportunité historique de restaurer la dignité d’un peuple et de bâtir une justice qui incarne enfin les idéaux de l’équité et de la liberté. Le succès de cette entreprise déterminera non seulement son héritage politique, mais aussi l’avenir de la démocratie congolaise.

© Odon Bulamba / ADR

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