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TUNIS — Dimanche soir, les urnes se sont refermées en Tunisie à l’issue d’une élection présidentielle largement critiquée. Le président sortant, Kais Saied, est donné vainqueur avec 89 % des voix, selon les premiers sondages diffusés par la télévision nationale. Ce triomphe, toutefois, est éclipsé par un taux de participation historiquement faible, s’élevant à seulement 27,7 %. Ce chiffre, le plus bas pour un premier tour depuis la chute de Ben Ali en 2011, reflète un désintérêt croissant pour la politique dans un pays autrefois salué comme un modèle démocratique pour le monde arabe.

Un scrutin sous surveillance et marqué par des tensions

Kais Saied, 66 ans, a affronté deux adversaires lors de ce scrutin : Zouhair Maghzaoui, un ancien député de la gauche panarabe, et Ayachi Zammel, un industriel libéral emprisonné pour falsification de parrainages. Ce dernier n’a pas pu mener de campagne en raison de son incarcération depuis septembre, une situation qui a jeté une ombre sur l’intégrité du processus électoral. La candidature de Zammel, bien que controversée, a été maintenue par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), un geste perçu par certains comme une tentative de légitimer un scrutin déjà fortement critiqué.

Malgré ces candidatures, le résultat semblait scellé d’avance. L’élection s’est déroulée dans un climat tendu, avec des accusations de manipulation et des craintes de fraudes. La participation électorale a rapidement été identifiée comme un baromètre clé du soutien populaire envers Kais Saied. Mais, au fur et à mesure que la journée avançait, il est devenu clair que les Tunisiens avaient largement boudé les urnes.

Une désillusion croissante

L’élection de 2019 avait vu Saied emporter une large victoire avec une participation de 58 %, grâce à une coalition hétéroclite de jeunes, d’intellectuels et de classes populaires. Depuis lors, l’enthousiasme s’est estompé. Après avoir pris les pleins pouvoirs en 2021, suspendu le Parlement, et réécrit la Constitution, Saied a été accusé de dérive autoritaire. Ces mesures, prises au nom de la stabilité et de la lutte contre la corruption, ont suscité des critiques, non seulement de la part de l’opposition, mais aussi des organisations de défense des droits humains et de la société civile.

La frustration est particulièrement palpable parmi les jeunes diplômés et les classes moyennes, qui avaient porté Saied au pouvoir en espérant des réformes profondes. Le chômage reste endémique, la corruption persiste, et la croissance économique est au point mort. Dans ce contexte, la promesse d’une “nouvelle Tunisie” faite par le président apparaît de plus en plus lointaine. Le taux de participation à cette élection semble confirmer un désaveu pour une large partie de la population, qui ne se sent plus représentée par le système politique actuel.

Une victoire sans fête

Malgré sa victoire écrasante, l’enthousiasme populaire est absent. En 2019, après la première élection de Saied, des scènes de célébration spontanée avaient envahi les rues de Tunis. Cette fois-ci, c’est dans une atmosphère morose que le pays a accueilli les résultats des sondages. Quelques centaines de partisans se sont rassemblés devant le théâtre municipal de Tunis pour scander “Le peuple veut Kais de nouveau”, mais ces manifestations de soutien n’ont pas atteint l’ampleur des mobilisations passées.

Pour de nombreux observateurs, ce manque d’enthousiasme reflète la désillusion des Tunisiens face à un régime qui n’a pas tenu ses promesses. “Le président a verrouillé le scrutin”, estime Michaël Ayari, expert de l’International Crisis Group. “Cette élection est une formalité pour Saied, mais elle révèle surtout le désintérêt de la population pour un processus politique qui semble de plus en plus déconnecté des réalités du pays.”

Une base électorale populaire toujours fidèle

Cependant, Kais Saied conserve un noyau dur de partisans, principalement issus des classes populaires. Ces électeurs, souvent moins touchés par les effets de la crise économique, voient en Saied un homme intègre, qui tente de remettre de l’ordre dans un pays miné par l’instabilité politique. Ils soutiennent sa lutte contre les élites corrompues et considèrent que sa prise de pouvoir en 2021 était nécessaire pour sauver le pays.

Les soutiens de Saied dans les classes populaires sont particulièrement sensibles à son discours anti-élites et à ses promesses de transformation radicale. Pour eux, les difficultés économiques actuelles ne sont pas dues à la politique de Saied, mais aux actions de ses prédécesseurs et aux forces internationales qu’il accuse régulièrement de comploter contre la Tunisie.

Un avenir incertain pour la Tunisie

La réélection de Saied laisse la Tunisie à un carrefour critique. Le président a promis une série de réformes économiques pour sortir le pays de la crise, mais peu de détails ont été fournis quant à la manière dont ces réformes seront mises en œuvre. Le pays reste enlisé dans une profonde crise économique, marquée par un endettement croissant, une inflation galopante, et des taux de chômage élevés, en particulier parmi les jeunes.

En dépit de sa popularité auprès de certaines franges de la population, Saied fait face à une opposition croissante, non seulement de la part de l’élite politique et des partis islamistes, mais aussi de la société civile, qui dénonce l’étouffement progressif des contre-pouvoirs et des libertés publiques. Depuis 2021, des dizaines de personnalités politiques, de militants des droits humains et de journalistes ont été arrêtés, faisant craindre un retour à un régime autoritaire.

“Le président Saied a encore des soutiens, mais son second mandat ne sera pas plus facile que le premier”, estime un politologue tunisien. “Il devra faire face à une pression croissante, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, pour relancer l’économie et restaurer la confiance des Tunisiens dans leurs institutions.”

Des défis économiques et politiques majeurs

Le prochain quinquennat de Kais Saied s’annonce donc comme un test décisif pour la démocratie tunisienne. Le président devra non seulement répondre aux attentes de ses partisans, qui espèrent un redressement rapide, mais aussi apaiser une société en proie à des divisions profondes. La question de la légitimité du pouvoir de Saied, renforcée par une participation électorale extrêmement basse, risque de continuer à hanter son mandat.

En attendant, les Tunisiens sont sceptiques quant à la capacité du président à apporter les changements promis. Beaucoup se demandent si le pays ne glisse pas lentement vers un régime autoritaire, malgré les acquis démocratiques de la révolution de 2011. Pour l’instant, l’avenir de la Tunisie reste incertain, et seul le temps dira si Saied parviendra à réaliser sa vision d’une “nouvelle Tunisie”.

Odon Bulamba

© 2024 – Africa Daily Report (ADR)

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