Nairobi, Kenya – Le contrôle des minerais stratégiques pour l’industrie électronique est souvent cité comme l’un des moteurs du conflit entre le groupe armé M23 soutenu par le Rwanda et la République Démocratique du Congo (RDC). Mais il n’est pas le seul dans cette région, l’une des plus instables au monde.
![](https://i0.wp.com/africadailyreport.com/wp-content/uploads/2024/11/AFP__20141205__Par8047281__v1__HighRes__MaliMiningGold-1.jpg?w=696&ssl=1)
La RDC – dont le gouvernement a perdu la semaine dernière le contrôle de Goma, principale ville de l’est du pays, passée sous le contrôle du M23 – et le Rwanda fournissent ensemble environ la moitié du coltan mondial, un minerai essentiel à la fabrication des téléphones et des ordinateurs portables.
Selon des experts des Nations unies et des organisations de défense des droits humains, le Rwanda fait sortir illégalement d’énormes quantités du minerai stratégique de l’est de la RDC, pour les vendre en son nom.
Avant Goma, le M23, réapparu en 2021 dans la région, avait notamment pris en avril le contrôle de Rubaya, ville minière où est produit environ 15% du coltan mondial, selon des experts de l’ONU. Le groupe armé tire chaque mois environ 800.000 dollars de la vente du minerai, estiment-ils.
Kigali nie exporter illégalement des minerais de l’est de la RDC. Mais les analystes sont dubitatifs.
« Le Rwanda est toujours parmi les 10 plus grands exportateurs de coltan. Tout le monde sait que c’est impossible avec les réserves qu’ils ont. Il est évident que ce coltan provient de RDC », souligne Guillaume de Brier, spécialiste de la région pour l’institut de recherche International Peace Information Service (IPIS).
– Les Rwandais « paient bien » –
Pour les mineurs congolais, vendre au Rwanda permet d’éviter des formalités administratives et des taxes lourdes, poursuit M. de Brier. « Ce sont des gens qui ne mangeront pas s’ils ne gagnent pas de l’argent dans la journée. Ils voient qu’il est bien plus avantageux de vendre aux Rwandais qui paient bien et en espèces », dit-il.
Parmi les multinationales accusées de tirer profit des minerais extraits dans des zones de conflit, Apple avait initialement affirmé qu’il n’y avait « aucune base raisonnable pour conclure » que ses produits en contenaient.
Mais après le dépôt d’une plainte pénale contre lui en France et en Belgique au nom du gouvernement congolais, le géant de la tech a déclaré avoir ordonné à ses fournisseurs de cesser de se fournir en minerais en RDC et au Rwanda.
« Apple a maintenant admis qu’ils ne peuvent pas distinguer la source des minerais », souligne Robert Amsterdam, l’avocat qui a lancé les poursuites, et estime que les gouvernements et entreprises occidentales portent une grande responsabilité dans les violences dans l’est de la RDC.
La région est secouée par des conflits entre groupes armés depuis des décennies, exacerbés après le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, qui a fait 800.000 morts selon l’ONU.
Après le génocide, les Tutsi sont revenus au pouvoir à Kigali sous la houlette de Paul Kagame. Des Hutus ont fui de l’autre côté de la frontière, dans l’est de la RDC, et se sont en partie regroupés à partir de 2000 au sein des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR).
Ces dernières deviennent l’ennemi juré de Paul Kagame, qui les accuse de compter dans leurs rangs des responsables de ce massacre et de vouloir déstabiliser le Rwanda.
– Problèmes fonciers et communautaires –
Pour Guillaume de Brier, le lucratif trafic de minerais n’est pas le moteur principal du conflit.
Les exportations de coltan du Rwanda ont d’ailleurs augmenté entre 2014 et 2018, lorsque le M23 était inactif, selon l’agence Ecofin.
Selon l’IPIS, les minerais ne sont qu’une partie du financement du M23, à laquelle s’ajoutent de lourdes taxes sur les barrages routiers (69.500 dollars par mois environ), des impôts domestiques, du travail agricole forcé et du trafic de bois et de charbon.
Au final, dans ces contrées rurales, « le véritable problème, c’est la propriété des terres », et ses corollaires communautaires, assure M. de Brier.
Soutenu par le Rwanda, le M23, apparu à l’origine comme un défenseur de la minorité tutsi longtemps marginalisée en RDC, essaie « de démanteler les systèmes traditionnels de gestion des terres contrôlés par les chefs locaux », qui désavantagent sa communauté, note M. de Brier.
« Les mines ce n’est qu’un moyen », affirme de son côté un diplomate spécialiste des Grands Lacs pour qui la manne tirée des minerais n’est qu’un outil destiné à servir l’objectif principal du régime de Kigali: protéger les Tutsi de la région face à la menace FDLR.
Selon lui, Kagame , un ancien soldat, « va vouloir maintenir sa présence dans les Kivu tant qu’on aura pas réglé la question des FDLR ». Avec Kigali, dit-il, « on a affaire à un régime militaire », une « élite qui a peur d’un autre génocide »
© Agence France-Presse