Une tragédie révélatrice des failles d’un système en crise
La mutinerie survenue dans la nuit du 1er septembre 2024 à la prison centrale de Makala, à Kinshasa, a mis en lumière les dysfonctionnements graves du système carcéral congolais. Officiellement, 131 détenus ont perdu la vie, mais les témoignages évoquent un bilan bien plus lourd, accompagné de violences sexuelles de masse et d’une répression brutale. Ce drame s’inscrit dans un contexte de surpopulation carcérale chronique, de corruption judiciaire et de lenteur des réformes. Si cette mutinerie est tragique, elle est aussi symptomatique d’une crise systémique plus profonde, qui touche à la fois les infrastructures, la gestion pénitentiaire et la justice en RDC.
Une surpopulation carcérale insoutenable
La prison de Makala, conçue en 1957 pour accueillir 1 500 détenus, abritait plus de 15 000 prisonniers au moment des événements. Cet excès de population, qui représente une surcharge de 900 %, résulte d’un système judiciaire engorgé où la majorité des détenus sont en attente de jugement. Selon un rapport récent de la Fondation Bill Clinton pour la Paix (FBCP), 80 % des prisonniers en RDC n’ont jamais été jugés. Cette situation n’est pas qu’une anomalie administrative ; elle reflète un dysfonctionnement profond des institutions judiciaires et un mépris flagrant pour les droits humains.
Claude, 25 ans, fait partie des nombreuses victimes de ce système. Jeté en prison pour des accusations de viol qu’il nie fermement, il attend un procès depuis cinq ans. Selon lui, sa condamnation a été scellée lorsque le magistrat chargé de son dossier lui a réclamé 2 500 dollars pour obtenir une décision favorable. « Je n’avais pas cet argent, donc ils m’ont laissé croupir ici », raconte-t-il. Cette « marchandisation de la liberté », dénoncée par des experts comme Sara Liwerant, directrice adjointe de l’École de criminologie de l’Université de Kinshasa, est devenue une pratique courante en RDC, où policiers, magistrats et avocats extorquent des fonds aux citoyens les plus vulnérables.
Des conditions de vie inhumaines : l’étincelle de la révolte
Les conditions de vie à Makala sont tout simplement insoutenables. Les cellules sont surpeuplées, sales, et manquent des ressources les plus élémentaires. Les plus pauvres dorment entassés sur le sol, tandis que les mieux lotis doivent débourser jusqu’à 100 dollars pour obtenir une couchette. Marcel, un ancien détenu, décrit la vie quotidienne comme « un enfer sur terre ». Les repas, maigres et insalubres, sont vendus à des prix exorbitants, tandis que les prisonniers les plus pauvres dépendent de leurs familles pour survivre.
Dans ce contexte, la mutinerie du 1er septembre semble presque inévitable. La coupure de courant qui a plongé la prison dans le noir a été le point de rupture. Les détenus, asphyxiés par le manque de ventilation, ont commencé à forcer les portes. « Les gens ne pouvaient plus respirer. C’était comme si la prison entière suffoquait », témoigne Henri, un prisonnier encore sous le choc. La situation a rapidement dégénéré en chaos, avec des affrontements entre détenus et forces de sécurité, et des violences à l’intérieur même des pavillons.
Une gestion de crise sous le feu des critiques
La réponse des autorités congolaises a été largement critiquée pour son manque de transparence et son inefficacité. Le ministre de l’Intérieur, Jacquemain Shabani, a annoncé un bilan de 131 morts, mais ce chiffre a été contesté par de nombreux témoins. Marcel, un ancien détenu ayant assisté à la collecte des corps, affirme avoir vu « des centaines, peut-être des milliers de cadavres ». Selon lui, « le gouvernement veut cacher l’ampleur de la tragédie ».
Les violences sexuelles perpétrées durant la mutinerie ajoutent une dimension encore plus tragique à cet événement. Selon le Fonds des Nations Unies pour la Population (FNUAP), au moins 269 femmes détenues ont été violées dans la confusion qui a suivi les émeutes. Pourtant, le vice-ministre de la Justice avait initialement minimisé l’incident, parlant de « quelques femmes violées ». Cette minimisation des faits reflète une tendance des autorités à éviter d’affronter les réalités difficiles.
Un système gangrené par la corruption et l’inefficacité
Le drame de Makala est un révélateur des maux structurels qui minent le système judiciaire et pénitentiaire de la RDC. Le ministre de la Justice, Constant Mutamba, s’est engagé à réformer le système, mais ses initiatives peinent à produire des résultats concrets. Bien que cinq nouvelles prisons soient en construction et que des vagues de libérations aient été annoncées, ces mesures sont loin d’être suffisantes pour résoudre le problème de fond.
Mutamba a également lancé une campagne contre la corruption dans la magistrature, dénonçant l’existence de « réseaux mafieux » au sein des tribunaux. Mais ses déclarations, souvent perçues comme populistes, ont provoqué des tensions avec les magistrats, ralentissant encore davantage les réformes.
Des pistes pour sortir de l’impasse
Pour répondre aux défis posés par la crise de Makala, une approche globale est nécessaire. Avant tout, il est impératif de désengorger les prisons. Cela pourrait passer par une accélération des jugements, la mise en œuvre de peines alternatives pour les délits mineurs, et une libération conditionnelle pour les détenus les plus vulnérables.
Une réforme en profondeur du système judiciaire est également essentielle. Elle doit inclure des mécanismes de contrôle pour lutter contre la corruption et garantir que les droits constitutionnels des citoyens soient respectés. En parallèle, l’amélioration des conditions de vie dans les prisons, incluant un accès à des soins de santé de base et une alimentation décente, est cruciale pour prévenir de nouvelles révoltes.
Enfin, la RDC gagnerait à collaborer avec des partenaires internationaux pour bénéficier d’un appui technique et financier. La formation des magistrats, la construction de nouvelles infrastructures et la modernisation des procédures judiciaires sont des chantiers qui nécessitent des ressources importantes et une expertise spécialisée.
Une conclusion ouverte : Makala, tournant ou tragédie oubliée ?
La mutinerie de Makala n’est pas qu’un simple incident isolé. Elle est le symptôme d’un mal plus profond qui touche l’ensemble des institutions en RDC. La question reste de savoir si ce drame peut servir de catalyseur pour des réformes courageuses, ou s’il sera rapidement oublié, noyé dans l’indifférence et les promesses non tenues.
Pour l’instant, les regards restent tournés vers le gouvernement de Félix Tshisekedi, qui doit prouver que les discours sur l’État de droit ne sont pas que des mots. Une véritable réforme pourrait marquer un tournant décisif pour le système carcéral et judiciaire du pays. Mais chaque jour qui passe sans action concrète rapproche un peu plus la RDC de la répétition de tragédies similaires.
© O Bulamba / Africa Daily Report