Résumé :
Le débat sur la révision constitutionnelle en République Démocratique du Congo, initié par le président Félix Tshisekedi, suscite de vives tensions politiques. Présentée comme une nécessité pour moderniser des institutions jugées obsolètes, cette initiative est perçue par l’opposition et la société civile comme une manœuvre pour étendre le pouvoir présidentiel. Dans cet article, nous analysons les enjeux de cette réforme, explorons les critiques et soutiens qu’elle soulève, et étudions les conséquences potentielles de ce projet pour l’avenir démocratique du pays.
L’Origine de la Controverse
Lancée par le président Félix Tshisekedi lors d’un discours à Bruxelles, l’idée de réviser une Constitution jugée « obsolète » a provoqué de vives réactions au sein de la société congolaise et de la classe politique. Promulguée en 2006 pour stabiliser un pays en proie à des conflits, la Constitution actuelle porte les traces de cet héritage, ayant été conçue en faisant « la part belle aux belligérants », selon Tshisekedi. Mais si l’idée d’un remaniement de ce texte a trouvé des partisans au sein du parti au pouvoir, l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), elle est perçue comme une menace par une opposition qui y voit un moyen d’accroître le pouvoir du chef de l’État.
Encadré : L’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS)
Fondée en 1982 par Étienne Tshisekedi, père de l’actuel président, l’UDPS est l’un des plus anciens et influents partis politiques de RDC. Historiquement, l’UDPS a joué un rôle clé dans l’opposition au régime autoritaire de Mobutu Sese Seko. Aujourd’hui, en position de pouvoir, l’UDPS promeut des réformes constitutionnelles que certains voient comme un moyen d’ancrer sa position dominante dans le paysage politique congolais.
Une Constitution « écrite sous la menace des armes »?
Jean-Claude Tshilumbayi, premier vice-président de l’Assemblée nationale, a déclaré que cette Constitution est le fruit d’un contexte historique tendu, rédigée par des acteurs armés. Selon lui, le texte reflète les compromis de l’époque, mais se révèle inadapté aux défis actuels. « Tu mets cet article, je dépose la mitrailleuse, tu l’enlèves, je la garde et je reste en brousse », a-t-il affirmé pour dépeindre l’ambiance des négociations. Ces propos soulèvent une question fondamentale : peut-on bâtir un avenir stable sur un texte façonné par des compromis de guerre? La révision est-elle donc une nécessité, ou une manœuvre politique bien calculée?
Opposition et Société Civile : Vigilance sur les Intentions Politiques
L’opposition, soutenue par des voix de la société civile, craint que la révision constitutionnelle serve de prétexte à une remise à zéro des mandats présidentiels, permettant ainsi à Tshisekedi de prolonger son pouvoir au-delà des limites actuelles. Moïse Katumbi, figure de l’opposition, accuse : « Nous ne sommes pas naïfs. Si certains veulent toucher à la Constitution, c’est pour permettre un troisième mandat au président actuel. » De son côté, le mouvement citoyen Lucha met en garde : « Aucun Congolais ne peut oser modifier notre Constitution pour satisfaire ses envies de longévité. » Un avertissement qui rappelle les années de contestation contre Joseph Kabila, où la société civile avait réussi à faire pression pour préserver les institutions.
Des Propositions de Réformes au Nom du Développement?
Selon les partisans de la réforme, la révision vise plusieurs articles de la Constitution jugés « rigides » ou inadaptés aux réalités modernes de la RDC. Les discussions portent notamment sur l’article 220, qui interdit toute modification concernant le nombre et la durée des mandats présidentiels, ainsi que sur les articles relatifs aux responsabilités des gouverneurs et des députés provinciaux. Ces réformes viseraient, selon leurs promoteurs, à améliorer l’efficacité de la gouvernance en réduisant les conflits de compétences entre l’État central et les provinces, un sujet épineux qui a souvent engendré des blocages institutionnels.
« Des révisions constitutionnelles peuvent être bénéfiques pour renforcer la démocratie et stabiliser les institutions si elles sont conduites de manière transparente et participative, » affirme Pierre Englebert, expert en politique africaine et chercheur au sein du programme Afrique de la Fondation pour la paix internationale. « Cependant, en RDC, où l’histoire est marquée par la méfiance envers les institutions, toute tentative de réforme est souvent perçue avec suspicion. »
Vers une Révision en 2025?
Tina Salama, porte-parole de la présidence, a affirmé que la mise en place d’une commission d’experts est prévue pour 2025, soulignant l’absence d’urgence dans ce projet. Néanmoins, la pression politique monte, et l’opposition questionne le timing de cette initiative alors que le pays fait face à des crises sécuritaires persistantes dans l’Est. La guerre avec le groupe rebelle M23 et l’état de siège prolongé dans certaines provinces suscitent des préoccupations sur la priorité accordée à la révision constitutionnelle en ce moment critique.
Encadré : Qui est Félix Tshisekedi?
Fils de l’opposant historique Étienne Tshisekedi, Félix Tshisekedi est arrivé au pouvoir en 2019 après avoir été élu président. Dirigeant de l’UDPS, il a promis de moderniser le pays et de garantir la stabilité après des années de conflit. Cependant, sa volonté de réformer la Constitution a soulevé des suspicions quant à ses intentions, certains craignant qu’il ne cherche à prolonger son mandat au-delà de la limite fixée.
Un Contexte Historique Révélateur
Le débat actuel rappelle les tensions qui ont précédé la fin du mandat de Joseph Kabila. Entre 2015 et 2018, des manifestations massives, orchestrées par l’Église catholique et des mouvements citoyens, s’étaient élevées contre l’idée d’un troisième mandat pour Kabila. Aujourd’hui, cette opposition au prolongement de mandats demeure, mais l’UDPS, autrefois dans les rangs de la contestation, se trouve désormais en position de pouvoir. Ce retournement de situation met en lumière l’évolution des dynamiques politiques congolaises.
Des Comparaisons Internationales : Leçons et Avertissements
L’histoire récente montre que des révisions constitutionnelles similaires, en Afrique ou ailleurs, ont parfois mené à des crises sociales. Au Burkina Faso, les manifestations ont abouti à la démission de Blaise Compaoré en 2014, lorsqu’il avait tenté de prolonger son pouvoir. De même, au Sénégal, les mouvements citoyens ont influencé la décision de l’ancien président Abdoulaye Wade de renoncer à une réforme constitutionnelle controversée. La RDC pourrait-elle suivre le même chemin si la société civile s’unit pour contrer ce projet?
« Les citoyens africains sont devenus très vigilants et résistent souvent aux réformes qui semblent conçues pour prolonger des mandats politiques, » observe Nic Cheeseman, professeur de démocratie africaine à l’Université de Birmingham. « Cette vigilance croissante témoigne d’une prise de conscience des droits démocratiques et d’une opposition aux manipulations institutionnelles. »
Conclusion : Quel Futur pour la RDC?
Le projet de révision constitutionnelle cristallise les tensions en RDC. Si elle représente une opportunité de réformer des institutions jugées inadaptées, elle suscite des interrogations quant aux véritables intentions de ses promoteurs. L’avenir de la RDC dépendra de la capacité de ses dirigeants à naviguer entre modernisation des institutions et respect des fondements démocratiques, sous le regard attentif d’une population et d’une société civile prêtes à défendre l’intégrité de leur Constitution. La question est posée : la RDC choisira-t-elle la voie de la réforme pour la stabilité ou celle de la contestation pour défendre la démocratie?
© O Bulamba / Africa Daily Report