L’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), parti au pouvoir en République Démocratique du Congo sous la présidence de Félix Tshisekedi, fait face à une tempête politique sans précédent. Depuis plusieurs mois, des tensions internes déchirent cette formation autrefois unie, portée par des accusations de mauvaise gestion et de clientélisme visant Augustin Kabuya, le secrétaire général du parti. Ce conflit expose des fissures profondes dans la principale force politique congolaise et pourrait avoir des conséquences graves non seulement pour l’UDPS, mais pour la stabilité du pays dans son ensemble. Face à cette épreuve, le président Tshisekedi semble pris dans un dilemme : maintenir une posture de chef impartial ou intervenir pour sauver l’unité de son propre parti. Mais peut-on préserver la stabilité nationale sans d’abord rétablir la cohésion dans ses propres rangs ?
Contexte historique et tensions internes de longue date
L’UDPS n’a jamais été un parti ordinaire. Fondé par l’emblématique Étienne Tshisekedi, l’UDPS a été la voix de l’opposition pendant des décennies, défiant des régimes successifs dans la quête de liberté et de justice sociale pour le peuple congolais. Ce parti est né dans l’adversité et s’est forgé un caractère résistant, résolu à défendre des valeurs démocratiques contre vents et marées. Cependant, l’accession au pouvoir a révélé une autre facette de l’UDPS, celle des ambitions individuelles et des rivalités de pouvoir. Si l’histoire de ce parti est riche de luttes et de sacrifices, elle est aussi parsemée de conflits internes. Chaque fois qu’une voix s’élève pour contester le leadership, c’est comme si l’âme même du parti vacillait entre son passé d’opposition courageuse et son rôle actuel de parti dominant.
L’arrivée de Kabuya au poste de secrétaire général en 2019 n’a fait qu’aggraver ces dissensions. Proche du président, Kabuya est perçu comme un pilier de la loyauté au sein de l’UDPS. Pourtant, son approche de gestion centralisatrice et autoritaire a suscité une rébellion grandissante parmi les cadres du parti. « L’UDPS traverse une crise d’identité. Elle est tiraillée entre l’héritage de lutte pour la démocratie et les réalités du pouvoir, » souligne Marie Kalemba, analyste politique et ancienne conseillère de l’opposition en RDC. Pour elle, la situation actuelle découle directement des faiblesses structurelles du parti et de la difficile transition d’un mouvement d’opposition vers un parti de pouvoir.
Un leadership contesté : Les griefs contre Augustin Kabuya
Kabuya est aujourd’hui au centre de la tourmente, accusé de monopoliser les décisions et de privilégier les siens au détriment d’une gestion collégiale. Son style de leadership, accusé de tourner au culte de la personnalité, révolte ceux qui voient en l’UDPS un bastion de la démocratie congolaise. À travers des actions perçues comme centralisatrices, il semble avoir redéfini la gouvernance du parti autour de sa seule personne, au mépris des valeurs de transparence et de concertation chères aux militants de la première heure. Pour les détracteurs, Kabuya incarne le paradoxe de l’UDPS : un parti de liberté en proie à une dérive autocratique.
« L’UDPS, en tant que parti de masse, ne peut survivre aux crises sans une gouvernance participative, » affirme l’analyste Jean-Baptiste Kazi, spécialiste de la politique congolaise. Selon lui, « Kabuya prend le risque de transformer l’UDPS en une machine à soutenir le pouvoir, au lieu d’une force démocratique au service de ses membres et du peuple. » L’impact de ses choix dépasse ainsi les simples querelles internes et expose l’UDPS à des critiques qui pourraient ternir durablement son image.
L’implication de Tshisekedi : une intervention hésitante
Dans ce contexte de crise, Félix Tshisekedi, président de la RDC et figure centrale de l’UDPS, a adopté une position ambiguë, oscillant entre neutralité et intervention. Sa posture initiale de non-ingérence a été interprétée comme une volonté de respecter la “vitalité démocratique” du parti. Mais en réalité, cette neutralité semblait aussi marquer une forme de prudence, voire d’hésitation, face à un conflit où chaque geste pourrait renforcer une faction ou fragiliser une autre. Le silence du chef de l’État n’a fait que laisser enfler les tensions, poussant des figures influentes à réclamer une intervention directe. Récemment, Tshisekedi a rencontré une délégation de frondeurs, montrant qu’il est désormais conscient de la nécessité d’agir pour préserver la cohésion du parti.
Cependant, l’équilibre est précaire. Comment intervenir sans perdre le soutien de ceux qui voient en lui le garant des valeurs fondatrices ? Peut-on pacifier un parti en pleine guerre intestine sans entacher sa propre autorité ? « Tshisekedi est confronté à un dilemme délicat, » explique l’universitaire Henri Mukendi. « Une intervention excessive pourrait renforcer la faction contestataire en les victimisant, tandis qu’une attitude passive pourrait faire perdre à l’UDPS sa légitimité auprès des partisans du changement. » La complexité de ce dilemme révèle l’essence même de la politique : comment allier loyauté et justice sans détruire ce que l’on veut protéger ?
Enjeux pour l’UDPS et perspectives de succession
Au-delà de la crise actuelle, cette lutte pour le pouvoir au sein de l’UDPS soulève une question cruciale : qui portera l’héritage du parti lorsque Tshisekedi quittera le pouvoir ? La Constitution congolaise limite les mandats présidentiels à deux, obligeant ainsi le parti à envisager dès maintenant la question de la succession. Ce débat, autrefois éclipsé par la figure charismatique de Tshisekedi, émerge maintenant avec une intensité nouvelle. Qui, parmi les jeunes loups ou les anciens gardiens du parti, saura incarner cette continuité sans compromettre les fondements de l’UDPS ? Les figures contestataires telles qu’Eteni Longondo ne cherchent pas uniquement à écarter Kabuya ; elles se positionnent déjà pour l’avenir, projetant leurs ambitions au-delà de la crise présente.
Mais la bataille pour la succession risque de saper les bases de la confiance au sein du parti. « Sans un plan de succession clair, l’UDPS pourrait bien imploser sous la pression des rivalités internes, » avertit Luc Ndaye, analyste en gouvernance africaine. En interne, la guerre des factions affaiblit la structure même de l’UDPS, exposant ses vulnérabilités au regard critique de l’opinion publique. Si l’UDPS échoue à trouver une issue pacifique et constructive, elle pourrait perdre le soutien d’une population lassée par les luttes intestines, et offrir à l’opposition une opportunité pour reprendre la main.
Répercussions pour la stabilité politique en RDC
Au-delà de l’UDPS, cette crise interne risque d’avoir des répercussions pour l’ensemble de la RDC. Le pays est confronté à des défis majeurs, notamment des incursions de groupes armés à l’est, une économie fragile et des pressions diplomatiques de la part de ses voisins. Dans ce contexte, la division au sein du parti au pouvoir fragilise encore davantage la gouvernance. La RDC, un géant en quête de stabilité, n’a pas besoin d’un parti divisé, mais d’un leadership fort et uni capable d’affronter les crises régionales et de préserver l’intégrité territoriale. Chaque minute que Tshisekedi passe à gérer les dissensions internes est une minute de moins consacrée à des enjeux cruciaux pour le pays.
L’histoire africaine regorge d’exemples de partis autrefois puissants tombés en disgrâce à cause de leurs querelles internes. En Afrique du Sud, l’ANC a souvent été paralysée par des conflits de leadership, tandis qu’en Zambie, le Front Patriotique a vu ses divisions internes mener à sa défaite électorale en 2021. Si l’UDPS ne parvient pas à rétablir son unité, elle risque de perdre non seulement son rôle de guide politique, mais aussi sa légitimité aux yeux du peuple congolais. Tshisekedi et les dirigeants du parti doivent tirer des leçons de ces expériences pour éviter une trajectoire similaire.
Conclusion : une épreuve décisive pour l’avenir politique de la RDC
La crise au sein de l’UDPS est une épreuve de feu pour Félix Tshisekedi. Au-delà des querelles internes, c’est la capacité du président à maintenir la cohésion de son parti et à restaurer la confiance qui est en jeu. La RDC, en quête de stabilité et de réformes, ne peut se permettre de voir son parti dominant sombrer dans la discorde. Tshisekedi doit jouer le rôle de médiateur avec une habileté rare, car chaque décision qu’il prendra influencera non seulement l’avenir de l’UDPS, mais aussi le destin politique du pays.
Cette crise pourrait bien redéfinir l’échiquier politique congolais. « L’UDPS est à la croisée des chemins, et les choix faits dans les mois à venir détermineront non seulement sa survie, mais aussi l’avenir de la RDC, » conclut Didier Mulumba, chercheur en sciences politiques. Si Tshisekedi parvient à restaurer la paix au sein de l’UDPS, il renforcera sa position et celle de son parti face aux défis de l’avenir. Mais s’il échoue, la fracture risque de s’élargir, offrant à l’opposition une chance de s’imposer et de redessiner l’avenir politique de la RDC.
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