Kinshasa, République Démocratique du Congo (RDC ) – Au sein de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), le parti au pouvoir en RDC, la situation devient critique. Félix Tshisekedi, Président de la République et chef de l’UDPS, fait face à une fronde interne qui menace de déstabiliser son autorité. La querelle autour du secrétaire général Augustin Kabuya, critiqué pour sa gestion jugée autoritaire, a entraîné une série de tensions et de prises de position au sein du parti. Si Tshisekedi avait initialement choisi de rester en retrait, la pression croissante des factions adverses pourrait bien l’amener à intervenir pour maintenir l’unité de son parti.
Contexte : Un Parti Divisé en Deux Factions Antagonistes
La crise actuelle de l’UDPS a pris racine en juin dernier, lorsque Eteni Longondo, député et ancien ministre de la Santé, a adressé une lettre à Augustin Kabuya. Ce courrier appelait à une » réorganisation » du parti, via un congrès extraordinaire, pour remédier à une gouvernance qui ne serait plus en phase avec les attentes des militants. Kabuya, qui avait été reconduit en août 2023 pour un mandat de cinq ans, a rejeté cette demande, s’attirant les foudres de plusieurs cadres de l’UDPS, qui dénoncent une » gestion personnalisée et autoritaire » ainsi qu’un manque de vision politique. Cette lettre a donc déclenché une vague de contestation qui ne cesse de s’amplifier.
Le 11 août 2024, la Convention Démocratique du Parti (CDP), l’un des principaux organes décisionnels de l’UDPS, a pris la décision de destituer Augustin Kabuya et de nommer à titre intérimaire Deogratias Bizibu Balola, son adjoint, pour une période de six mois. Kabuya a contesté la légitimité de cette destitution, affirmant que le quorum requis pour valider la session de la CDP n’avait pas été atteint. Depuis, le parti est scindé en deux camps : d’un côté, les partisans de Kabuya, et de l’autre, ceux qui réclament une réforme du parti, un groupe qui rassemble des personnalités influentes comme Eteni Longondo et Jean-Claude Tshilumbayi, le premier vice-président de l’Assemblée nationale, qui endosse également le rôle de médiateur.
Les Forces en Présence : Un Conflit Alimenté par des Alliances Stratégiques
Dans cette querelle interne, les alliances stratégiques des différents acteurs jouent un rôle déterminant. Kabuya, qui se décrit comme le » Muana Bute » ( » fils aîné « ) du chef de l’État, espère pouvoir compter sur la protection de Tshisekedi. Son soutien parmi la famille présidentielle, notamment de la mère de Tshisekedi, Marthe Kasalu Tshisekedi, lui confère une position non négligeable dans cette lutte de pouvoir. Il a également des relations solides avec des membres influents de l’entourage de Tshisekedi, ce qui pourrait lui permettre de consolider sa position malgré la fronde actuelle.
En face, la faction menée par Longondo bénéficie du soutien croissant de cadres du parti et de plusieurs députés. Jean-Claude Tshilumbayi, qui avait déjà tenté une médiation en août, s’est joint à cette faction pour pacifier le conflit et œuvrer en faveur de la destitution de Kabuya. Ces forces antagonistes ont conduit l’UDPS à un point critique où le consensus semble de plus en plus difficile à atteindre, accentuant le besoin d’un arbitrage ferme de la part de Tshisekedi.
Félix Tshisekedi : Une Neutralité Stratégique en Question
Face à cette scission, Félix Tshisekedi a initialement pris position pour une approche discrète, affirmant en août qu’il ne voyait pas de danger majeur dans cette querelle interne, qu’il interprétait comme un signe de » vitalité démocratique » au sein de l’UDPS. Cependant, la détérioration de la situation a mis en lumière les limites de cette approche non-interventionniste. De nombreux observateurs et cadres de l’UDPS estiment qu’une intervention du président serait désormais indispensable pour trancher en faveur d’une faction et mettre fin aux dissensions. Le 16 octobre, Tshisekedi a finalement rencontré Deogratias Bizibu Balola et d’autres cadres du parti, leur indiquant qu’il ne s’opposerait pas à un départ de Kabuya, à condition que cela soit réalisé de manière pacifique et respectueuse de l’unité du parti.
Cette intervention en coulisses montre un changement de stratégie. Pour Tshisekedi, le maintien de l’unité de l’UDPS revêt une importance capitale à l’approche des élections de 2028, qui marqueront la fin de son second et dernier mandat en vertu de la Constitution. Les divisions internes au sein de son propre parti risquent de fragiliser son autorité et de miner la capacité de l’UDPS à se maintenir comme la principale force politique du pays. Si la crise n’est pas résolue rapidement, l’opposition pourrait tirer parti de ces failles, ce qui affaiblirait la position du président et compromettrait sa capacité à assurer une transition en douceur à son successeur.
Répercussions Politiques : Un Impact sur la Stabilité de la RDC
Cette querelle au sein de l’UDPS a des implications au-delà du parti lui-même. Le positionnement de l’UDPS en tant que première force politique en RDC signifie que ses luttes internes peuvent affecter la stabilité nationale, particulièrement dans un contexte politique où Félix Tshisekedi tente de gérer plusieurs crises, y compris la guerre persistante dans l’est du pays. La gestion de cette crise interne constitue un test crucial pour Tshisekedi, dont l’autorité et la capacité de leadership pourraient être remises en question si la scission s’aggrave.
L’UDPS joue un rôle central au sein de l’Union Sacrée, la coalition gouvernementale que Tshisekedi a consolidée en vue de son second mandat. Une instabilité prolongée au sein de l’UDPS pourrait fragiliser cette coalition et ouvrir des brèches exploitables par l’opposition. De plus, les tensions actuelles reflètent une frustration croissante au sein du parti à l’égard des choix de leadership, certains cadres reprochant à Tshisekedi de privilégier la fidélité et les alliances familiales au détriment de la méritocratie et de la démocratie interne.
Scénarios pour une Sortie de Crise : Trois Options Possibles
Pour restaurer l’unité au sein de l’UDPS, plusieurs options sont envisagées. La première serait la convocation d’un congrès extraordinaire, comme le demandent les frondeurs. Cette démarche permettrait aux membres du parti de s’exprimer sur la gouvernance et de redéfinir la structure de direction du parti. Cependant, cette solution comporte le risque d’amplifier les divisions internes, notamment si elle est perçue comme un moyen d’entériner un camp au détriment de l’autre.
Une seconde option consisterait à lancer une médiation interne. Jean-Claude Tshilumbayi, qui a déjà tenté de rétablir l’harmonie au sein du parti, pourrait diriger cette initiative en vue d’apaiser les tensions. La médiation, si elle est menée avec impartialité, permettrait d’éviter une fracture plus profonde, mais elle nécessiterait un soutien actif de Tshisekedi, qui pourrait y jouer un rôle de garant. Cette option favoriserait également un compromis, où chaque faction pourrait maintenir une part d’influence au sein du parti.
Enfin, la troisième option envisagée serait de confirmer officiellement la destitution de Kabuya, en appuyant le leadership intérimaire de Deogratias Bizibu Balola. Cela impliquerait cependant que Tshisekedi prenne une position plus tranchée, risquant d’aliéner une partie des fidèles de Kabuya. Cette approche pourrait toutefois stabiliser le parti en clarifiant les rôles et les responsabilités, limitant ainsi les tensions liées à l’autorité de chaque faction.
Conclusion : Un Défi Majeur pour l’UDPS et une Épreuve pour Tshisekedi
La crise actuelle au sein de l’UDPS constitue un défi politique de premier ordre pour Félix Tshisekedi, et sa manière de gérer cette querelle interne pourrait déterminer l’avenir de son parti et, par extension, celui de son second mandat. En l’absence d’une solution rapide, cette scission pourrait non seulement affaiblir l’UDPS, mais aussi déstabiliser la scène politique congolaise dans son ensemble. L’arbitrage de Tshisekedi sera déterminant pour restaurer la paix interne et renforcer la cohésion de l’UDPS en vue des défis politiques à venir.
En fin de compte, Tshisekedi se trouve face à un dilemme : soit il continue de privilégier une approche diplomatique, au risque de paraître hésitant, soit il opte pour une intervention ferme qui pourrait stabiliser le parti, mais à un coût politique potentiellement élevé. Dans un contexte où la stabilité et la capacité de gouvernance de l’UDPS sont essentielles pour maintenir l’ordre et préparer une succession harmonieuse, le président n’aura guère d’autre choix que de prendre une décision résolue pour restaurer la cohésion de son parti.
Odon Bulamba / ADR