Résumé :
Le bassin du Congo, deuxième plus grande forêt tropicale au monde, est au centre d’un marché des crédits carbone en pleine expansion. Alors que les entreprises mondiales cherchent à compenser leurs émissions pour atteindre le « net zéro », ce marché offre des perspectives économiques prometteuses pour l’Afrique. Toutefois, des questions sur la transparence, l’impact réel des projets et les droits des communautés locales continuent de susciter des débats. Ce texte explore l’équilibre entre ces opportunités financières et les défis environnementaux qui en découlent.
Kinshasa — Le bassin du Congo, vaste région s’étendant sur six pays africains, est devenu une pièce maîtresse dans la lutte mondiale contre le changement climatique. Ce qui était autrefois une simple étendue de forêt tropicale dense est aujourd’hui au cœur d’un marché en plein essor : les crédits carbone. Ce mécanisme permet aux entreprises, soucieuses de réduire leur empreinte carbone, d’investir dans des projets de compensation, tout en continuant à émettre des gaz à effet de serre. Mais alors que la demande de crédits augmente, des questions fondamentales émergent sur la manière dont l’Afrique peut vraiment tirer parti de cette opportunité, tout en préservant ses ressources naturelles et ses communautés.
Un Marché en Plein Essor
Le bassin du Congo, qui absorbe des millions de tonnes de dioxyde de carbone chaque année, a attiré l’attention des grandes entreprises mondiales désireuses de compenser leurs émissions. Ces entreprises, allant de Shell à Netflix, utilisent les crédits carbone comme un moyen de verdir leur bilan environnemental tout en continuant à opérer à pleine capacité. Selon Lydia Sheldrake, directrice des politiques à l’Initiative pour l’intégrité des marchés volontaires du carbone (VCMI), ce marché pourrait injecter des financements indispensables pour des projets d’énergie durable, d’infrastructures et d’adaptation au changement climatique en Afrique. « C’est de l’argent qui ne serait pas disponible autrement », affirme Sheldrake.
Cependant, le marché n’est pas sans critiques. Pour certains observateurs, ces crédits ne sont qu’une tentative de « greenwashing » de la part d’entreprises qui cherchent à soigner leur image sans apporter de réels changements. Paul Muthaura, PDG de l’Africa Carbon Markets Initiative (Acmi), met en garde contre ces approches superficielles : « Il ne suffit pas de raconter une belle histoire aux actionnaires ; il faut réellement transformer les pratiques. »
Des Projets Contestés
L’impact des projets financés par les crédits carbone est loin d’être uniforme. Une étude publiée dans la revue Science en 2023 a révélé que la plupart des initiatives examinées surestiment leur capacité à réduire la déforestation. En réalité, beaucoup de ces projets n’ont pas eu l’impact escompté sur la préservation des forêts tropicales.
Le Kenya, pionnier dans la régulation des marchés du carbone, tente de surmonter ces obstacles en imposant des normes strictes pour garantir que les projets apportent des bénéfices réels aux communautés locales et à l’environnement. En vertu de sa nouvelle réglementation, les projets de compensation doivent allouer une part de leurs revenus aux populations locales. Ces exigences visent à garantir que les crédits carbone ne profitent pas uniquement aux entreprises, mais aussi aux communautés qui vivent en symbiose avec ces forêts.
Le Scepticisme Persiste
Malgré ces réformes, le scepticisme persiste sur la capacité des marchés du carbone à réellement transformer la lutte contre le changement climatique. Certains détracteurs pointent du doigt les risques d’un « néocolonialisme environnemental », où des entreprises occidentales exploitent les ressources naturelles africaines sans offrir de réels bénéfices aux populations locales. Des exemples de ces dérives existent déjà. En République du Congo, un projet de TotalEnergies a conduit à des déplacements forcés de communautés locales.
En 2023, les Émirats arabes unis ont signé un accord avec le Liberia, leur garantissant des droits exclusifs sur un million d’hectares de forêt pour 30 ans. Cet accord a suscité des critiques quant à la répartition des revenus issus des crédits carbone, avec seulement 30 % des bénéfices allant au Liberia.
Un Potentiel Sous-Exploité
Pourtant, le potentiel des crédits carbone pour l’Afrique reste immense. Le Gabon, qui séquestre 140 millions de tonnes de CO2 par an tout en n’en émettant que 35 millions, a été le premier pays africain à recevoir des paiements pour ses efforts de conservation forestière. Ces initiatives montrent qu’il est possible de tirer profit des ressources naturelles du continent, à condition d’avoir une approche équilibrée et transparente.
Lydia Sheldrake et ses collègues du VCMI travaillent actuellement à l’élaboration de bonnes pratiques pour renforcer l’intégrité du marché des crédits carbone. Selon elle, « il est essentiel que les entreprises respectent des normes rigoureuses pour que ce marché soit crédible et efficace. » Les résultats de ces projets doivent être mesurés par des auditeurs indépendants, et les informations sur les crédits carbone doivent être accessibles au public, garantissant ainsi la transparence.
L’Afrique à la Croisée des Chemins
Alors que le marché des crédits carbone continue de croître, l’Afrique se trouve à un moment décisif. Ce mécanisme pourrait devenir un levier majeur pour le développement durable, mais uniquement si les projets sont gérés de manière équitable et avec une vision à long terme. La clé réside dans la protection des forêts et des droits des communautés locales, tout en garantissant des bénéfices économiques pour les pays concernés.
La transition verte de l’Afrique est en marche. Si elle réussit à équilibrer ses ambitions de développement économique avec la préservation de ses écosystèmes uniques, le continent pourrait devenir un leader mondial dans la lutte contre le changement climatique. Mais le chemin est encore semé d’embûches, et seule une approche transparente, équitable et durable permettra de transformer cette opportunité en succès.
© O Bulamba / ADR