L\’ancien ministre a été évincé de la direction du RHDP, dirigée par Alassane Ouattara. Est-ce le prix à payer pour avoir exprimé ses objectifs un peu trop tôt ?
Le numéro deux du parti présidentiel est un homme patient. Il connaît le président depuis plus d\’un quart de siècle, mais il sait qu\’il ne perdra rien en se séparant trop tôt du groupe. Pourrait-il jamais aller plus loin, en tant que politicien impétueux et homme d\’affaires astucieux ? Il se sent bien à l\’hôtel Ivoire, comme s\’il était chez lui. Il s\’y rend au moins une fois par semaine, sinon plus. Pour un rassemblement politique, un rassemblement formel ou un rassemblement d\’affaires. Mais ce qu\’il préfère faire là-bas, c\’est jouer au tennis. Adama Bictogo est vêtu d\’un costume croisé plutôt que d\’un short et de baskets en cette matinée étouffante. Comme d\’habitude, excellent travail. Fin avril, ramadan oblige, et il renonce à son café du matin. Pas de soucis, assure le directeur exécutif du Rassemblement des houphoutistes pour la démocratie et la paix (RHDP, au pouvoir).
Que se passe-t-il réellement dans ce camp au pouvoir ? Le président a annoncé le 28 février la restructuration du parti présidentiel, comme cela était attendu depuis des mois. La gestion est reprise par le maire de Yopougon. Le secrétariat exécutif est dirigé par Adama Bictogo. Alassane Ouattara a procédé à la restructuration de son parti, le Rassemblement des houphoutistes pour la démocratie et la paix (RHDP), lors d\’une réunion du conseil politique tenue à l\’hôtel Ivoire à Abidjan, lundi 28 février. C\’est la première fois que les caciques du parti se sont réunis depuis les législatives de mars 2021. Le président de l\’Assemblée nationale, Amadou Soumahoro, est absent de son poste quinze jours après sa réélection et seulement deux jours après l\’installation d\’un nouveau bureau. Le chef du parti présidentiel, Adama Bictogo, a pris le contrôle.
L’homme qui remplace le président d’une institution influente du pays n’est pas un opportuniste. C’est un homme d\’affaires prospère qui sillonnait les rues en latérite d\’Agboville, la ville du sud du pays où il est né, quelques semaines auparavant ; le 6 mars, alors qu\’il faisait campagne pour les élections législatives, \”Adams\” comme l\’appellent ses vieux amis a été réélu. Sa victoire a été un temps contestée par Fleur Aké M\’Bo du Front populaire ivoirien (FPI), mais elle a finalement été confirmée par la commission électorale. L\’exécutif du parti de Laurent Gbagbo déclare qu’Il a mobilisé beaucoup d\’argent et de ressources pour gagner, mais il faut reconnaître qu\’il a été élu. Bictogo, quant à lui, préfère parler de son attachement \”à la terre\” et \”d\’une belle campagne bien menée\” dans laquelle il a voulu \”faire plaisir à la population en faisant des dons, comme il le fait toute l\’année.
Il arrive à la tête de l’assemblée nationale suite une circonstance malheureuse qui arriva à Amadou Soumahoro. Ce dernier était Réélu depuis peu, et était déjà porté disparu. Le président de l\’Assemblée nationale ivoirienne, Amadou Soumahoro, a été reconduit dans ses fonctions le 30 mars et aussitôt \”en déplacement\”, quelques jours seulement après avoir pris ses nouvelles fonctions. Une nouvelle absence pour le député de la sous-préfecture de Séguéla, proche d\’Alassane Ouattara, que l\’état de santé l\’a contraint à voyager à l\’extérieur du pays ces derniers mois et qui est apparu épuisé tout au long de sa campagne de réélection. Adama Bictogo, comme on pouvait s\’y attendre, est celui qui lui tient compagnie en attendant son retour. Le directeur exécutif du Rassemblement des houphoutistes pour la démocratie et la paix (RHDP, au pouvoir), qui a pris les rênes de l\’institution pendant la campagne présidentielle. Adama Bictogo a accepté le poste de vice-président, mais avec des prérogatives plus \”musclées\”, beaucoup de poids et des délégations d\’autorité importantes de la direction de l\’Assemblée.
Depuis 2016, date à laquelle le poste de premier vice-président a été supprimé, il n\’y a plus d\’ordre hiérarchique entre les vice-présidents, donc Amadou Soumahoro peut attribuer ses fonctions à l\’un d\’eux. C\’est un message politique déguisé en retour à l\’école. C’est ainsi qu’Alassane Ouattara avait convoqué la direction du Rassemblement des houphoutistes pour la démocratie et la paix (RHDP), lundi 28 février. (ADO). Le chef de l\’État devrait dévoiler une réforme structurelle tant attendue qui contribuera à redynamiser un parti en sommeil depuis les élections législatives de mars 2021. Le Premier ministre, des responsables de son gouvernement et des présidents d\’institutions sont assis à la patinoire du Sofitel Ivoire à Abidjan, l\’écoutant justifier religieusement ses actions des choix majeurs ; l\’un d\’eux est de déposer la direction exécutive du parti, qui avait été dirigée par Adama Bictogo jusque-là. L\’ancien ministre dirigera un secrétariat exécutif qui comprend quatre secrétaires exécutifs adjoints et vingt-deux secrétaires nationaux. Il agit actuellement à titre de président de l\’Assemblée nationale. Adama Bictogo ne fend pas l\’armure et porte un costume sombre avec une cravate bordeaux et des boutons de manchette traditionnels. \”Je suis reconnaissant à Son Excellence le Président de la République, Président du RHDP, Alassane Ouattara, pour sa confiance renouvelée en mon humble personne pour diriger le nouveau secrétariat exécutif de notre parti\” a souligné, Mr Bictogo.
Pour les membres du parti, chacun comprend que cette réorganisation est pour lui une forme de désaveu. Un déclassement naming-and-shaming pour celui qui s\’était imposé comme le patron du RHDP ces derniers mois, derrière Ouattara. Il a été nommé secrétaire exécutif et rend désormais compte à un directoire de 40 membres, dont la présidence est assurée par Gilbert Koné Kafana et dont il est chargé d\’exécuter les orientations. Un peu performeur. Sa ligne de communication directe avec le président du parti a été coupée. Adama Bictogo a également été ajouté à l\’équipe de direction. Or, selon nos sources, la structure devait compter trente personnes au départ, dont quinze ministres, et Bictogo était censé être le second dans l\’ordre protocolaire. Une révision de l\’organigramme a été effectuée. Après réflexion, le président Ouattara a décidé de faire venir plusieurs têtes d\’affiche du parti, dont Kandia Kamara, ministre des Affaires étrangères. Du coup, le nom \”Bict\”, comme l\’appellent certains ministres, n\’est que le sixième de la liste.
Les dessous de cartes sautent aux yeux ; Alassane Ouattara préfère être maître de son mode opératoire et prend son temps. Il aurait voulu attendre le 28 février 2022 pour présenter son nouvel organigramme s\’il avait lancé la réforme du Rassemblement des houphoutistes pour la démocratie et la paix (RHDP) en septembre 2021. Plusieurs ministres, notamment Mariatou Koné (Éducation), Bruno Koné (Logement), ou encore Vagondo Diomandé (Intérieur), sont désormais membres du bureau exécutif du parti au pouvoir, qui conseille Gilbert Koné Kafana. Ceux qui n\’y étaient pas craignaient que cela indique qu\’ils descendraient bientôt du bateau. Cependant, afin de maintenir l\’administration à l\’écart du parti, Alassane Ouattara a répondu qu\’il n\’y avait aucun lien entre ces nominations et l\’initiative de remaniement. Le président a également élu domicile dans ses nouvelles fouilles. Ces terrains, qui font partie du palais présidentiel de Cocody Riviera Golf, devaient à l\’origine abriter le siège de la fondation qu\’il souhaitait créer après son départ du pouvoir en 2020. Concrètement le Président a tout révélé le 28 février, Ouattara a prononcé le discours d\’ouverture, suivi de Patrick Achi, Henriette Dagri Diabaté, Gilbert Koné Kafana, et enfin Bictogo. \”L\’ordre hiérarchique du RHDP est maintenant évident, dit un haut responsable. Kafana, qui est également maire de Yopougon, est un gars de caractère qui a rapidement cherché à asseoir son pouvoir. Il faut remonter quelques mois en arrière pour comprendre la chute relative de cet homme d\’affaires clinquant. Nous sommes déjà dans la première semaine de septembre 2021.
Les vacances officielles venaient à peine de s\’achever lorsqu\’un encart dans l\’hebdomadaire proche du gouvernement le Patriote annonce la convention du RHDP le 21 septembre. En feuilletant les pages de son journal, Alassane Ouattara est interloqué et demande des explications. Selon la source, tous les regards seront braqués sur lui, notamment parce qu\’il avait convoqué une réunion du parti pour tous les ministres la semaine suivante. La réunion a été annulée en raison du mécontentement d\’ADO. Il est temps d\’avoir quelques explications. Quelques jours plus tard, il fait passer le message au Conseil des ministres : les membres du gouvernement ont le droit de participer à des actes ou à des activités politiques, mais ils doivent au préalable consulter le Premier ministre. Patrick Achi n\’a pas directement protesté auprès du président, mais lui, comme de nombreux autres ministres éminents, en avait assez d\’être convoqué par Bictogo pour un oui ou un non. Lors d\’une réunion de son entourage proche au palais présidentiel le 15 septembre, le président a recadré personnellement le directeur exécutif.
Cette façon d’agir de Bictogo semble avoir révélé ses objectifs bien trop tôt. Moins d\’un an après l\’élection présidentielle, il entraînait le parti dans une lutte de succession. ADO, selon nos sources, a une autre raison de ne pas aimer son ancien ministre. Depuis quelques semaines, ce dernier ne cache pas ses ambitions présidentielles pour 2025, quel que soit le choix du président. Les paroles du patron lui revinrent au pire moment. ADO a contracté le Covid-19 comme \”cas contact\” début août. Il a été contraint de bouleverser son horaire d\’été en raison d\’une maladie. Téné Birahima Ouattara, son frère cadet, a également été évacué vers la France par précaution. La rumeur bat son plein à Abidjan, comme toujours quand il s\’agit de la santé des dirigeants. Quel était le véritable état de santé du président ? Les gens méditaient dans leurs salons feutrés. Les esprits de Bictogo se détériorent dans cette situation. Il a fait connaître ses objectifs trop tôt. Alors que nous sommes à moins d\’un an de la présidentielle, il entraînait le parti dans une lutte de succession avec Patrick Achi, raconte un ministre. Cette circonstance, selon Alassane Ouattara, ne fait que conforter la restructuration du RHDP, qu\’il envisage depuis le début de son troisième mandat. Si l\’accord est finalisé d\’ici fin février, le sort de Bictogo sera scellé d\’ici fin septembre 2021. Il verra son équipe de direction dissoute. Ses adversaires se célèbrent dans les couloirs du pouvoir. On le voit déjà déclaré persona non grata ou, plus simplement, écarté de la direction du parti.
Certainement, Bictogo ne deviendra pas chômeur ; Député d\’Agboville, homme d\’affaires prospère dont Snedai Groupe enchaîne contrats sur contrats depuis 2011, proche du chef de l\’Etat qu\’il côtoie quasi quotidiennement. Un régiment d\’adversaires est incontournable quand le pouvoir est amassé dans une telle situation. Il a un dos rond, Bictogo. Il décide de faire vœu de silence car il aime être sous les projecteurs. Il n\’a pas réagi aux demandes de Jeune Afrique. Il peste contre les « envieux » qui refusent d\’accepter son ascension au pouvoir et attendent la première occasion de le « liquider » en privé. Il se souviendra sans doute de leurs noms. En plus, C\’est le président par intérim de l\’Assemblée nationale, c\’est le chef du parti au pouvoir, et il est riche… \”S\’il n\’y pense pas, c\’est qu\’il est idiot\”, ironise un rival. Durant son quart de siècle aux côtés du chef de l\’Etat, il a peut-être surtout appris qu\’il vaut mieux rester loyal que de quitter la meute trop tôt. La seule raison pour laquelle les cadres du RHDP existent politiquement, c\’est parce qu\’ils sont alignés sur le président. Tous ceux qui ont tenté d\’exister indépendamment de lui ou contre son gré l\’ont payé, observe un pasteur. En homme d\’affaires avisé, Alassane n\’a jamais envisagé de s\’en séparer pleinement, tempère un collaborateur du chef de l\’Etat, \”et Bictogo sait qu\’il est souvent préférable d\’être patient et de savoir attendre un retour sur investissement. Amadou Gon Coulibaly [AGC] et Hamed Bakayoko sont décédés en juillet 2020 et mars 2021, respectivement, laissant un gouffre dans lequel s\’est enfoncé Bictogo. Il fallait équilibrer la situation. Le président a démontré qu\’il contrôlait toujours totalement le parti.
De plus, quand Amadou Soumahoro, souffrant, refuse de confier à Bictogo la présidence par intérim de l\’Assemblée nationale, lui préférant le doyen des députés Mamadou Diawara, ADO prend une décision sans réserve en faveur du chef d\’entreprise. Les deux hommes sont en désaccord Soumahoro, qui se trouvait en Turquie pour des raisons médicales depuis la mi-janvier, est rentré à Abidjan le 26 mars sans en informer Bictogo. Il était déterminé à présider la première session législative de 2022, qui a débuté le 1er avril. Cependant, en raison de l\’épuisement, il a été contraint de quitter son siège à la dernière minute, permettant à Bictogo de prononcer le discours d\’ouverture du gouvernement. Adama Bictogo comprend à quel point la vie d\’un homme politique est une course de fond avec des hauts et des bas. Ce fils de planteur a déjà connu quelques \”bas\”. Il a été nommé ministre de l\’Intégration africaine en juin 2011. Il s\’agit d\’un prix récompensant les personnes qui ont soutenu le Rassemblement des républicains (RDR) d\’Alassane Ouattara dans les années 1990, un pied dans la politique et l\’autre dans les affaires.
En 1999, Bictogo a été conseiller spécial du général Robert Gué, puis Premier ministre Charles Konan Banny en 2006. Un an plus tard, il y était lors des règlements politiques d’Ouagadougou. Il était le PDG de Côte d\’Ivoire Fruits, une société d\’import-export également active dans le commerce du cacao. Entre 2004 et 2007, il assiste la société française Soeximex dans l\’exportation d\’or brun ivoirien via le Burkina Faso depuis le port togolais de Lomé. La question du détournement des indemnisations des victimes du Probo Koala, un navire qui a largué des déchets toxiques à Abidjan en 2006, explose un an après sa nomination à l\’administration. Début 2010, Bictogo était l\’associé-gérant du cabinet MBLA, qui assurait la médiation des parties. Il est contraint de démissionner après avoir été accusé d\’avoir détourné une partie des 7 millions d\’euros d\’indemnisation destinés aux victimes. Il sera disculpé par la justice, mais il sera impitoyable dans sa poursuite de ceux qui ont tenté de profiter de sa chute, notamment un certain Hamed Bakayoko. Suite au décès d\’Amadou Gon Coulibaly, un ami proche, Bictogo s\’opposerait également à ce que Bakayoko soit le candidat du parti à la présidence en 2020. Des cartes à fort pouvoir Suite au décès de son protecteur, Bictogo se cherche un nouveau protecteur à Téné Birahima Ouattara. Les deux messieurs s\’admirent et se connaissent intimement.
En revanche, lorsque des difficultés avec Patrick Achi sont apparues. Certaines formations politiques des abords de la lagune Ebrié trouvent des parallèles entre son conflit à distance avec l\’actuel chef de l\’Etat et la bataille entre Hamed Bakayoko et Amadou Gon Coulibaly. Ils partagent les qualités et les défauts d\’AGC et de Hamed à leur manière. Contrairement à l\’effronté Bictogo, qui a contre lui ce côté sulfureux dont avait souffert Bakayoko, Achi est un technocrate qui n\’est pas encore particulièrement populaire. A quoi doit-il s\’attendre maintenant ? Bictogo fait toujours partie du système, explique le narrateur. Il a perdu son éclat et est fragile, mais il ne peut pas être enterré. Il n\’est pas mort, en déduit un visiteur du soir d\’Alassane Ouattara. Il représente un profil important pour le rayonnement du RHDP puisqu\’il est un faiseur, un homme de terrain qui a tissé des liens à travers l\’échiquier politique, donc un rassembleur. A-t-il mis un terme à ses ambitions ? Adama Bictogo, selon un homme qui le connaît depuis dix ans, aspire au pouvoir et croit pouvoir l\’avoir. Mais il semble avoir retenu la leçon et ne défiera pas les souhaits du président. Cependant, ce dernier a toujours choisi des profils de technocrates et n\’aime pas la combinaison des affaires et de la politique. Alors que Bictogo connaît Ouattara depuis 1994, la femme et le frère d\’Alassane sont les seuls individus qui peuvent se targuer d\’être proches de lui. Tout le reste n\’est qu\’un outil. Ceux qui ont cherché à se libérer de sa tutelle, comme Guillaume Soro, lui ont donné cash, dit un vétéran de la politique ivoirienne.
Eric Kuikende, LEO NJO LEO NEWS