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French-Lebanese lawyer Robert Bourgi answers questions during an interview at Europe 1 radio station on September 12, 2011 in Paris. Bourgi, a lawyer with a network of African contacts, declared today he had personally handed over $20 million dollars in cash coming from several presidents of France’s former African colonies, to French former president Jacques Chirac and his close ally Dominique de Villepin. AFP PHOTO / JOHANNA LEGUERRE (Photo by JOHANNA LEGUERRE / AFP)

La Françafrique, terme emblématique des relations complexes et souvent troubles entre la France et ses anciennes colonies africaines, refait surface avec la publication des mémoires de Robert Bourgi, un acteur clé de cette époque. Dans Ils savent que je sais tout, l’avocat et lobbyiste dévoile des décennies de pratiques d’influence, de financements occultes et de relations opaques entre les élites politiques françaises et africaines. Cependant, bien que ces révélations offrent un éclairage sur le passé, la question centrale reste : l’Afrique est-elle désormais capable de s’affranchir des vestiges de la Françafrique et de définir son propre destin dans un contexte international de plus en plus compétitif ?

La Françafrique : un système en déclin mais résilient

La Françafrique est souvent perçue comme un reliquat du colonialisme, où la France maintenait une influence quasi directe sur la politique et l’économie de ses anciennes colonies. Dans ses mémoires, Robert Bourgi révèle que des millions d’euros, fournis par des dirigeants africains comme Omar Bongo ou Félix Houphouët-Boigny, ont alimenté la politique française. Par exemple, il estime que 15 millions d’euros auraient été utilisés pour financer des campagnes présidentielles en France dans les années 1990 et 2000. Ces sommes, qui auraient dû être consacrées au développement de pays africains en difficulté, ont servi à entretenir des réseaux d’influence en France.

Cependant, au fur et à mesure que ces pratiques sont devenues publiques et que la France a réformé son approche diplomatique, les réseaux de la Françafrique ont perdu de leur vigueur. Depuis le début des années 2000, les gouvernements français, de Nicolas Sarkozy à Emmanuel Macron, ont promis de rompre avec ces pratiques du passé. Mais malgré ces promesses, l’influence de la France reste palpable, notamment au Sahel, où la présence militaire française est régulièrement contestée, et dans certains cercles politiques africains.

La montée des nouveaux acteurs : un changement de paradigme

L’une des raisons pour lesquelles la Françafrique semble en déclin est l’émergence de nouvelles puissances sur le continent africain. La Chine, la Russie, la Turquie, et même des pays comme les Émirats arabes unis, sont désormais des acteurs majeurs sur le continent. La Chine, par exemple, a largement supplanté la France comme principal partenaire économique de nombreux pays africains. Selon un rapport de la Banque mondiale, les investissements chinois en Afrique ont dépassé les 100 milliards de dollars sur la dernière décennie, avec des projets d’infrastructure massifs comme des routes, des chemins de fer et des ports, notamment au Kenya et en Éthiopie.

Toutefois, la présence chinoise n’est pas sans controverse. De nombreux observateurs pointent des contrats déséquilibrés, où les États africains s’endettent massivement en échange de projets d’infrastructure, souvent construits par des entreprises chinoises avec peu de retombées locales. Cela rappelle étrangement les pratiques de la Françafrique, où les relations étaient également marquées par une forte dépendance économique et un manque de transparence.

De même, la Russie s’est imposée comme un acteur clé dans le domaine militaire, notamment en Afrique centrale et au Sahel. Des pays comme la Centrafrique ou le Mali ont sollicité l’aide militaire russe, à travers des accords officiels mais aussi via des acteurs privés comme le groupe Wagner, pour assurer la stabilité interne de régimes fragilisés. Cette intervention russe, bien qu’elle offre aux dirigeants africains une alternative à la France, soulève également des questions sur les risques à long terme d’une dépendance militaire à l’égard de puissances extérieures.

L’Afrique face à un défi de souveraineté

Aujourd’hui, l’Afrique est à un tournant crucial. Le continent a davantage de choix en termes de partenariats internationaux, mais cette diversité d’options n’est pas synonyme d’indépendance totale. Si la Françafrique s’efface, elle laisse place à une nouvelle compétition entre puissances étrangères, chacune cherchant à étendre son influence économique, diplomatique ou militaire. La question pour les dirigeants africains est de savoir s’ils peuvent utiliser cette concurrence à leur avantage, tout en évitant de retomber dans les schémas de dépendance du passé.

Les experts soulignent que la clé réside dans la capacité des États africains à renforcer leurs institutions et à améliorer la gouvernance. Selon Transparency International, la corruption reste un problème majeur dans de nombreux pays africains, ce qui affaiblit les négociations avec les partenaires étrangers et détourne les ressources du développement économique. Le continent regorge de richesses naturelles, mais tant que ces ressources ne seront pas exploitées au bénéfice des populations locales, l’Afrique continuera de dépendre des aides et des financements étrangers, qu’ils viennent de l’Occident ou d’ailleurs.

Un exemple récent est celui de la Zambie, qui a signé en 2021 un accord avec la Chine pour la construction d’une centrale hydroélectrique, un projet vital pour répondre aux besoins énergétiques du pays. Mais cet accord s’est accompagné d’une dette massive, augmentant la dépendance de la Zambie envers Pékin. Cela illustre bien le dilemme auquel sont confrontés de nombreux États africains : bénéficier d’investissements étrangers indispensables, tout en préservant leur souveraineté économique.

La route vers une véritable indépendance

Si les révélations de Robert Bourgi sur la Françafrique rappellent un système d’influence révolu, elles soulignent également que l’Afrique est encore loin d’une pleine indépendance. La mondialisation et la multiplication des partenariats étrangers offrent de nouvelles opportunités, mais elles nécessitent une vigilance accrue de la part des dirigeants africains pour ne pas retomber dans les pièges du passé.

Les dirigeants africains doivent s’efforcer de négocier des accords plus transparents et plus justes, avec des partenaires qui respectent les intérêts à long terme du continent. L’exemple des pays d’Asie du Sud-Est, qui ont réussi à transformer des partenariats étrangers en outils de développement national tout en maintenant une stabilité politique et économique, pourrait servir de modèle. Cela exige des réformes institutionnelles en Afrique pour s’assurer que les ressources naturelles, notamment les minerais et le pétrole, ne soient plus bradées à des multinationales en échange de bénéfices immédiats pour une élite politique restreinte.

Conclusion : L’Afrique maîtresse de son destin ?

L’Afrique a aujourd’hui l’occasion de tourner définitivement la page de la Françafrique, mais cela dépendra de la capacité de ses dirigeants à se libérer des influences extérieures tout en capitalisant sur les opportunités de la mondialisation. Les nouvelles alliances, qu’elles soient avec la Chine, la Russie ou d’autres puissances émergentes, ne doivent pas reproduire les erreurs du passé. La souveraineté africaine, tant recherchée, passera par une meilleure gouvernance, des institutions renforcées et une gestion plus équitable des ressources du continent.

L’avenir de l’Afrique est entre ses mains. Le continent doit maintenant choisir entre une indépendance véritable, fondée sur des réformes internes solides, ou une perpétuation des dépendances extérieures sous de nouvelles formes. L’enjeu est crucial pour les générations futures et pour la place de l’Afrique sur la scène internationale.

© Odon Bulamba / ADR

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