Résumé :
Laurent Gbagbo, ancien président ivoirien et candidat aux élections de 2025, a réaffirmé son soutien aux régimes militaires de l’Alliance des États du Sahel (AES), comprenant le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Alors que les tensions diplomatiques entre la Côte d’Ivoire et ces pays s’intensifient, ce soutien a déclenché des critiques internes et amplifié les accusations mutuelles de déstabilisation. Gbagbo justifie son alignement en critiquant l’attitude de la France et en louant la souveraineté des États de l’AES, qui sont perçus comme résistants à l’influence coloniale.
Abidjan — Laurent Gbagbo, ancien président de la Côte d’Ivoire et candidat déclaré à la présidentielle de 2025, a réaffirmé son soutien aux régimes militaires de l’Alliance des États du Sahel (AES), composée du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Dans une interview accordée le 16 octobre à AFO Media, Gbagbo a décrit ces gouvernements comme des « États tout simplement », légitimant ainsi leur prise de pouvoir par des coups d’État, ce qui a suscité des critiques, aussi bien au niveau national qu’international.
Ce soutien ouvert intervient dans un contexte diplomatique déjà tendu entre la Côte d’Ivoire et les pays du Sahel. En septembre, le Burkina Faso a rappelé son personnel diplomatique de Côte d’Ivoire, y compris les consulats d’Abidjan et de Bouaké. Ce geste inattendu, non communiqué aux autorités ivoiriennes conformément aux usages diplomatiques, a marqué une nouvelle escalade dans les relations déjà fragiles entre les deux pays.
Le rappel des diplomates : une escalade des tensions régionales
Le rappel des diplomates burkinabés a pris de court non seulement les autorités ivoiriennes, mais aussi les diplomates eux-mêmes, dont certains avaient déjà préparé la rentrée scolaire de leurs enfants en Côte d’Ivoire. L’origine de cette décision trouve racine dans une série d’accusations mutuelles de déstabilisation. Quelques jours avant le rappel, Dieudonné Désiré Sougouri, directeur de cabinet du ministre burkinabé des Affaires étrangères, avait convoqué la chargée d’affaires ivoirienne à Ouagadougou pour discuter du « silence des autorités ivoiriennes » face aux critiques internes concernant des activités perçues comme déstabilisatrices par Ouagadougou.
Cette mesure diplomatique inhabituelle, exacerbée par les récentes découvertes de camps d’entraînement de dissidents ivoiriens au Burkina Faso, a encore compliqué la relation entre les deux pays. L’accusation de déstabilisation, rejetée par Abidjan, a contribué à cette escalade, tout en renforçant la méfiance mutuelle.
Un soutien constant aux régimes de l’AES malgré les critiques
Ce n’est pas la première fois que Laurent Gbagbo exprime son soutien à l’AES. En février 2024, après que le Mali, le Burkina Faso et le Niger se sont retirés de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), dirigé par Gbagbo, avait déjà manifesté sa solidarité. Cette posture s’aligne sur la rupture de ces régimes avec la France, ancienne puissance coloniale. Gbagbo, qui attribue la perte de son pouvoir en 2010 à un coup d’État orchestré par Paris, voit en ces dirigeants des résistants à l’influence française.
Cependant, cette position soulève des critiques internes en Côte d’Ivoire, particulièrement au sein de la majorité présidentielle. Certains analystes estiment que Gbagbo utilise ces relations pour légitimer des régimes autoritaires, tout en profitant du ressentiment anti-français qui anime certaines parties de l’opinion publique africaine.
Un déplacement polémique au Burkina Faso
Le soutien de Gbagbo aux régimes de l’AES s’est concrétisé en juillet dernier lorsque Justin Koné Katinan, président du Conseil stratégique et politique du PPA-CI, s’est rendu au Burkina Faso pour exprimer publiquement son appui aux autorités militaires locales. Ce geste a déclenché une vive polémique en Côte d’Ivoire, où les autorités ivoiriennes ont averti que Katinan pourrait être tenu responsable de tout appel à la subversion. Certains membres de la majorité présidentielle ont même demandé des comptes sur ce déplacement controversé.
En août, le Parti pour le progrès et le socialisme (PPS) a déposé une plainte contre Katinan, l’accusant de « soutien aux putschistes » et d’atteinte à la sûreté de l’État. Cette plainte a suivi les critiques de Gbagbo à l’encontre de la Cedeao, qu’il a qualifiée d’instrument de propagande de la France. Gbagbo s’est également interrogé sur l’attitude sélective de Paris, qui tolère certains putschistes, comme ceux du Gabon, tout en marginalisant les régimes du Mali, du Niger et du Burkina Faso.
Répercussions potentielles pour la stabilité régionale
Les tensions diplomatiques entre la Côte d’Ivoire et les pays de l’AES pourraient avoir des répercussions plus larges sur la stabilité régionale. L’escalade actuelle s’inscrit dans un contexte où plusieurs pays du Sahel cherchent à s’émanciper de l’influence occidentale, principalement française. Le soutien public de Gbagbo à ces régimes militaires pourrait accentuer les divisions politiques en Afrique de l’Ouest, avec la possibilité d’un isolement accru de la Côte d’Ivoire sur la scène diplomatique régionale. Les tensions avec le Burkina Faso, en particulier, pourraient fragiliser les accords bilatéraux en matière de sécurité et de coopération, autrefois solides.
Un appel à l’opposition pour 2025
Malgré les controverses, Laurent Gbagbo se concentre sur les élections présidentielles de 2025. En juillet, il a appelé l’opposition à s’unir pour défier le président sortant, Alassane Ouattara. Bien que toujours inéligible en raison de sa condamnation pour le casse de la BCEAO, cet appel a trouvé un écho chez Guillaume Soro, ancien président de l’Assemblée nationale, actuellement en exil. Soro, via son mouvement Générations et peuples solidaires (GPS), a indiqué qu’il pourrait se rallier à Gbagbo pour former un front commun.
Cependant, de nombreux observateurs restent sceptiques quant à la viabilité de cette alliance, estimant que Gbagbo est davantage motivé par un ressentiment personnel contre la France et la Cedeao que par une stratégie rationnelle pour l’avenir de la Côte d’Ivoire.
© O Bulamba / ADR