Résumé
La Guinée traverse une période de tension et d’incertitude sous la direction de Mamadi Doumbouya, qui a réformé l’armée pour consolider son pouvoir, notamment en renforçant les forces spéciales. Cependant, des incidents récents, tels que des échanges de tirs à proximité du palais présidentiel, ont semé la panique et révélé des fractures au sein des forces armées. Tandis que Doumbouya s’appuie sur une loyauté renforcée parmi ses troupes spéciales, des tensions ethniques et politiques menacent la stabilité de son régime. La perspective d’une présidentielle en 2025, précédée par un référendum constitutionnel, soulève de nombreuses questions quant à la capacité du régime à maintenir l’ordre.
Conakry – Le 26 septembre dernier, en pleine journée, des tirs ont retenti à quelques pas du palais présidentiel, semant la panique dans les rues de la capitale guinéenne. Une dizaine d’hommes armés ont ouvert le feu sur des officiers du Groupement des forces spéciales (GFS), provoquant une riposte immédiate des garnisons situées à Kaloum. Les forces spéciales ont rapidement pris le contrôle des rues, ordonnant aux passants de rentrer chez eux et procédant à des fouilles dans les environs. Cette intervention rapide a provoqué un climat de psychose à Conakry, entraînant des embouteillages et une évacuation massive des travailleurs et commerçants du centre-ville.
Négation de l’incident et montée des tensions
Dans la soirée, la présidence a démenti toute attaque, évoquant de « fausses rumeurs ». Cependant, cet épisode a suscité de nombreuses interrogations sur la loyauté des forces militaires guinéennes, renforçant le climat de tension au sein de la junte. Ce n’était pas le premier incident de ce type. En novembre 2023, l’évasion spectaculaire de l’ancien président de la transition, Moussa Dadis Camara, et de ses co-accusés, avait déjà plongé le régime de Doumbouya dans une crise sécuritaire. Bien que la majorité des fugitifs aient été retrouvés, Claude Pivi, ancien sergent-chef, a réussi à échapper aux forces de sécurité, accentuant les soupçons de complicité au sein même de l’armée.
Réformes militaires controversées
Depuis son arrivée au pouvoir, Doumbouya a mené des réformes visant à renforcer la loyauté des forces spéciales, tout en marginalisant certaines unités militaires. En mai 2023, le général Sadiba Koulibaly, ancien chef d’état-major des armées et pilier de la transition, a été limogé et envoyé à Cuba. Un an plus tard, il a été accusé de désertion et est décédé en détention dans des circonstances mystérieuses. La mort de Koulibaly, ainsi que celle du colonel Célestin Bilivogui en septembre 2024, ont alimenté les rumeurs de divisions internes et d’éliminations orchestrées par le régime.
Privilèges accordés aux forces spéciales
Le 2 octobre 2024, lors du défilé de la fête de l’indépendance, la différence de traitement entre les forces spéciales et les autres unités militaires était frappante. Alors que les parachutistes et l’armée de Terre défilaient sans armes, le GFS était lourdement armé avec du matériel flambant neuf, principalement acquis auprès du groupe émirati Streit. Cet écart de traitement a exacerbé les frustrations au sein des autres corps militaires. Certains observateurs estiment que ces privilèges accordés au GFS pourraient saper l’unité et la cohésion de l’armée guinéenne, notamment dans un contexte où la loyauté de certaines unités reste incertaine.
L’équilibre ethnique menacé
En plus des tensions militaires, le régime de Doumbouya est accusé de fragiliser l’équilibre ethnique au sein de l’armée. Comme son prédécesseur Alpha Condé, Doumbouya a nommé plusieurs officiers issus de sa région d’origine, la Haute-Guinée, à des postes stratégiques. Cela a créé des tensions avec les militaires de la Guinée forestière, notamment ceux liés à l’ancien président Moussa Dadis Camara et à Claude Pivi, toujours en cavale. Ces deux figures, malgré leurs condamnations, restent populaires dans la région, exacerbant les divisions au sein de l’armée.
Pressions politiques avant le référendum
Le président de la transition, en poste depuis 2021, se prépare à un référendum constitutionnel prévu avant les élections présidentielles de 2025. Une délégation a récemment parcouru la Guinée forestière pour annoncer la candidature de Doumbouya, déclenchant des réactions mitigées. Alors que certaines régions ont accueilli les émissaires du président, d’autres, comme Beyla, ont fermement rejeté leur message, refusant même les traditionnelles colas, signe de défiance envers le pouvoir en place.
Un avenir politique incertain
Malgré ses efforts pour consolider son pouvoir, Mamadi Doumbouya reste confronté à des défis croissants. Le processus de transition vers un retour à l’ordre constitutionnel est embourbé dans des retards, tandis que des incidents comme l’évasion de Claude Pivi ou les tirs récents à Conakry révèlent des fractures internes. Par ailleurs, la gestion du procès du massacre du 28 septembre 2009, qui a conduit à la condamnation de plusieurs hauts responsables militaires, ajoute une couche de complexité à un paysage déjà tendu. L’issue du référendum constitutionnel, ainsi que la capacité de Doumbouya à maintenir la loyauté de l’armée, seront déterminants pour l’avenir politique du pays.
© O Bulamba / ADR