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Former Ivorian President Laurent Gbagbo gestures during his party, the African People’s Party of Ivory Coast (PPA-CI), convention to officially nominate him as party’s 2025 presidential candidate at the Sofitel hotel in Abidjan on May 10, 2024. (Photo by Sia KAMBOU / AFP)

Introduction

Laurent Gbagbo n’est pas étranger aux prises de position qui bousculent l’ordre établi. Depuis son retour en Côte d’Ivoire après son acquittement à La Haye, il a continué à se forger une image de résistant. Mais aujourd’hui, en 2024, alors que la Côte d’Ivoire se prépare pour les élections présidentielles de 2025, Gbagbo joue une carte étonnante : un soutien public aux régimes militaires du Sahel. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger, des pays secoués par des coups d’État militaires récents, semblent être devenus des modèles de résistance à l’influence occidentale, en particulier française. Mais ce soutien n’est pas sans risques.

En se liant à ces régimes, Gbagbo prend un pari politique audacieux. Va-t-il réussir à capitaliser sur une vague de sentiment anti-impérialiste, ou ce soutien pourrait-il isoler la Côte d’Ivoire dans un environnement régional de plus en plus instable ? L’analyse de ce choix révèle bien plus que de simples alliances politiques : elle touche à la question cruciale de l’avenir de l’Afrique de l’Ouest.


Une rupture diplomatique ou une stratégie géopolitique visionnaire ?

Le retrait inattendu des diplomates burkinabés de Côte d’Ivoire en septembre 2024 a marqué une nouvelle étape dans l’escalade des tensions régionales. Certains y ont vu le reflet d’une crise imminente entre voisins ouest-africains, tandis que d’autres y perçoivent une manœuvre stratégique. En soutenant les régimes militaires du Sahel, Gbagbo semble choisir de rompre avec la politique diplomatique prudente adoptée par Abidjan ces dernières années, tout en se positionnant comme l’allié des régimes anti-occidentaux du continent.

Ce repositionnement stratégique n’est pas sans précédent. Il rappelle l’audace des chefs d’État africains des années 1960, comme Kwame Nkrumah au Ghana, qui prônaient la rupture totale avec les anciennes puissances coloniales pour embrasser une vision panafricaine. Gbagbo se présente comme l’héritier moderne de cette tradition, en choisissant le Mali, le Burkina Faso et le Niger comme nouveaux partenaires idéologiques.

Mais dans un monde globalisé où les puissances économiques sont en quête de stabilité, ce pari pourrait coûter cher. La rupture diplomatique avec ces voisins sahéliens pourrait fragiliser les alliances régionales, notamment au sein de la Cedeao, où Gbagbo risque de se trouver marginalisé. Il doit naviguer prudemment entre cette quête d’indépendance idéologique et la réalité d’une économie ivoirienne qui reste profondément liée aux relations internationales.


Les motivations réelles de Gbagbo : Un calcul électoral sous couvert d’idéologie ?

Laurent Gbagbo a toujours été un fin stratège, capable de transformer les crises en opportunités politiques. Son soutien aux régimes militaires du Sahel n’est pas qu’une simple adhésion à une idéologie anti-impérialiste. Derrière cette façade, se cache probablement un calcul électoral sophistiqué.

Avec un électorat jeune de plus en plus frustré par les promesses non tenues du développement et la présence persistante de l’influence occidentale, Gbagbo sait qu’il doit incarner autre chose : un changement radical. En soutenant des régimes qui rejettent la domination française, il se place en champion de la cause panafricaine. Ce n’est pas une coïncidence si ces régimes sont devenus des symboles de résistance contre la France, une puissance que beaucoup de jeunes Africains associent encore aux vestiges du colonialisme.

Cependant, ce calcul a aussi ses risques. En se liant à des régimes non démocratiques, Gbagbo pourrait perdre le soutien d’une partie de l’électorat ivoirien qui craint le retour des divisions internes. Les Ivoiriens n’ont pas oublié les violences post-électorales de 2010, et beaucoup pourraient voir dans ce soutien aux régimes militaires un retour aux méthodes autoritaires.


Un coup de poker économique : quel avenir pour les relations régionales ?

En politique, chaque choix a un coût. Sur le plan économique, l’engagement de Gbagbo aux côtés des régimes militaires du Sahel pourrait avoir des répercussions lourdes. La Côte d’Ivoire, moteur économique de l’Afrique de l’Ouest, dépend largement des corridors commerciaux qui traversent le Burkina Faso et le Mali. Si les tensions diplomatiques avec ces pays s’aggravent, cela pourrait entraîner une fermeture des frontières ou une diminution des échanges commerciaux, mettant à mal des secteurs entiers de l’économie ivoirienne.

Prenons l’exemple de l’industrie du transport. Un chauffeur de poids lourd basé à Korhogo, dans le nord de la Côte d’Ivoire, témoigne : « Si les routes vers le Burkina se ferment, c’est toute notre activité qui s’arrête. Je transporte des marchandises tous les jours vers Ouagadougou, et ça fait vivre des centaines de familles ici. » Ce type de témoignage met en lumière les effets concrets et immédiats que pourraient avoir les décisions politiques de Gbagbo sur la vie des citoyens ordinaires.

Les exemples récents au Nigeria et au Cameroun, où des tensions similaires ont paralysé les économies transfrontalières, devraient servir d’avertissement. Les conséquences d’une rupture diplomatique durable entre la Côte d’Ivoire et ses voisins du Sahel pourraient être dramatiques, non seulement pour l’économie ivoirienne, mais aussi pour la stabilité de l’ensemble de la région.


La perspective internationale : Gbagbo entre la Russie et la Chine ?

En soutenant les régimes militaires du Sahel, Gbagbo pourrait également entraîner la Côte d’Ivoire dans une nouvelle dynamique internationale. Alors que la Russie, via le groupe Wagner, a étendu son influence au Mali et en Centrafrique, Gbagbo pourrait se retrouver à jouer un rôle central dans la réorientation géopolitique de l’Afrique de l’Ouest.

Des rumeurs circulent déjà sur un possible rapprochement entre Abidjan et Moscou, tandis que Pékin observe la situation de près. La Chine, qui a massivement investi dans les infrastructures africaines, pourrait voir d’un bon œil un réalignement ivoirien dans un axe anti-occidental. Si cela devait se confirmer, Gbagbo placerait la Côte d’Ivoire dans un camp radicalement différent de ses voisins traditionnels alignés avec l’Occident.

Cependant, cette stratégie comporte aussi des risques importants. L’isolement de la Côte d’Ivoire au sein des organisations comme la Cedeao pourrait affaiblir sa position en tant que leader régional. L’Union européenne et les États-Unis, qui restent des partenaires commerciaux majeurs pour la Côte d’Ivoire, pourraient également revoir leurs relations avec Abidjan, privant le pays d’investissements étrangers essentiels.


Les dynamiques électorales en Côte d’Ivoire : une jeunesse à conquérir, mais à quel prix ?

La jeunesse ivoirienne, clé de l’élection présidentielle de 2025, est à la croisée des chemins. Désillusionnée par les promesses non tenues de développement et de prospérité, elle est aussi méfiante envers les figures politiques traditionnelles. Gbagbo, en soutenant les régimes militaires du Sahel, tente de capter cette génération en quête de renouveau. Mais cette stratégie pourrait également diviser la population.

Un étudiant en sciences politiques à Abidjan résume bien cette fracture : « Gbagbo incarne la résistance, mais je crains que son soutien aux militaires n’aggrave les tensions internes. Les jeunes veulent du changement, mais ils veulent aussi la stabilité. » Cet équilibre délicat entre le désir de rupture et le besoin de sécurité sera central dans les débats à venir.


Conclusion : Un pari risqué sur l’avenir de la Côte d’Ivoire

Laurent Gbagbo, en choisissant de soutenir les régimes militaires du Sahel, prend un pari audacieux. Il tente de s’imposer comme le porte-drapeau de la souveraineté africaine, mais à quel prix ? Si cette stratégie peut séduire une partie de l’électorat, elle pourrait également isoler la Côte d’Ivoire sur le plan diplomatique et économique.

Les élections de 2025 seront déterminantes pour juger de l’efficacité de ce pari. Gbagbo réussira-t-il à mobiliser les jeunes derrière sa vision d’une Afrique libérée des influences occidentales, ou son alignement avec des régimes controversés le condamnera-t-il à l’isolement politique ? Une chose est certaine : l’avenir de la Côte d’Ivoire se joue dans ce pari.

© Odon Bulamba, ADR

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