Le député PPRD, qui a été destitué du poste de président de l\’Assemblée nationale il y a environ un an et demi, vient de rentrer au Palais du peuple. Elle est ébranlée par la sauvagerie du jeu politique, mais elle est déterminée à faire entendre sa voix. Pourrait-elle reprendre la tête du camp Kabila ?
La prestation de serment des nouveaux juges de la Cour constitutionnelle, le 21 octobre, avait plongé la coalition au pouvoir dans le désarroi. Ceux qui redoutent une implosion, en revanche, se sont toujours fait dire que le moment du divorce n\’était pas encore arrivé. Tshisekedi a rassuré en juillet à Brazzaville : \”Nous n\’allons pas déchirer l\’alliance\”. Cependant, la confiance apparaît plus fragile dans ce mariage de circonstance. Comme le montre cette soirée du 2 juillet. Félix Tshisekedi et Joseph Kabila sortent d\’un entretien de trois heures dans la maison présidentielle de N\’Sele, une rencontre qui a mis plusieurs jours à se programmer. Les deux hommes étaient accompagnés de membres de leurs équipes de négociation respectives. Ils se préparent à manger en attendant que le communiqué de presse final reflète leurs discussions à finaliser. Selon un participant, l\’environnement était « très facile à vivre ». Cependant, la soirée est sur le point d\’être gâchée. La nouvelle tombe avant même que le souper ne commence : l\’Assemblée vient d\’approuver la nomination de Ronsard Malonda à la tête de la Ceni.
Depuis plusieurs jours, le nom de cet ancien secrétaire exécutif de la Ceni, qui a été nommé par les chefs des confessions religieuses après un vote controversé, est au centre d\’un débat houleux. Et l\’une des questions dont les deux hommes ont discuté ce soir-là était l\’affaire Malonda. Des partisans du président congolais ont récemment rappelé qu\’il avait l\’intention de briguer un second mandat. Il travaillerait même activement à la réorganisation de sa plateforme, tâche à laquelle son haut représentant, Kitenge Yesu, avait été confié. Joseph Kabila n\’est pas oublié. Sa rencontre avec l\’ancien président du Sénat Léon Kengo wa Dondo le 14 octobre, au cours de laquelle il a fait remarquer que 2023 viendrait \”rapidement\”, est aussi un indice que le ras n\’envisage pas de laisser son \”partenaire\” déterminer le rythme. \”Joseph Kabila avait également appris à se méfier de son partenaire, prévient Kikaya Bin Karubi, conseiller diplomatique de l\’ancien président. C\’est excellent que Kabila ne se soit pas retiré de l\’alliance, dit une proche connaissance de Tshisekedi, car il bénéficie encore de quelque chose.
La chute de Jeanine Mabunda avait sonné l\’heure du divorce, et la séparation est souvent le moment le plus angoissant d\’un couple. Lors de la course présidentielle de 2018, Kabila et Tshisekedi ont formé une alliance inhabituelle qui n\’a pas duré. Les adjoints de l\’ancien président ont été achetés avec un grand nombre de jeeps, et la majorité d\’entre elles ont été renversées dans l\’un des nombreux scénarios bizarres que la politique congolaise peut évoquer. Les protestations contre un \”coup d\’État institutionnel\” ont été inefficaces. Il dut attendre seize mois pour rentrer au Palais du Peuple. Jeanine Mabunda Lioko s\’est assise avec ses collègues lors de la rentrée parlementaire du 15 mars. Elle est tranquille, comme la députée de base qu\’elle est redevenue. Le perchoir semblait bien loin de son siège. Le 10 décembre 2020, elle siège pour la dernière fois à la présidence de l\’Assemblée nationale. La séance avait été électrisante et épique, comme c\’est souvent le cas en ces temps de guerre ouverte entre le Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila auquel elle appartient et la coalition du président Félix Tshisekedi, Cap pour le changement (Cach). Les députés avaient voté sa destitution par 281 voix sur 483. Jeanine Mabunda était encore choquée par sa \”sortie hussarde\” lorsque nous l\’avons rencontrée en novembre, un an seulement après son départ du perchoir. Elle avait décrit la \”violence\” de la politique, ainsi que les \”menaces\” dont elle avait été victime. En passant devant la Chambre basse, elle se souvint du sifflement. Le 20 novembre 2020, alors que son 4X4 noir est percuté par une voiture roulant à toute vitesse sur le boulevard Tshatshi, Jeanine Mabunda reste persuadée qu\’on a voulu l\’assassiner. Depuis, les médecins m\’ont conseillé d\’y aller doucement. Elle estime le début de la dégringolade à venir en juillet 2020. Elle commence par la nomination de Ronsard Malonda à la tête de la Commission électorale nationale indépendante, qui n\’a jamais été reconnue (Ceni). Alors que les catholiques influents de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) et les protestants de l\’Église du Christ au Congo sont en désaccord, un passage est en vigueur (ECC) s\’y est opposé, et que le président n\’avait pas été prévenu. Lorsque Félix Tshisekedi est sorti d\’un tête-à-tête avec Joseph Kabila, il a appris que le vote n\’était pas à l\’ordre du jour. Ensuite, il y a eu la bagarre autour des nouveaux juges de la Cour constitutionnelle… \”Une kyrielle d\’incompréhensions\”, ajoute Jeanine Mabunda.
En tout cas, tout semble loin. \”Je ne vais pas prendre un café avec les gens de l\’UDPS [Union pour la démocratie et le progrès social], reconnaît-elle, mais Jeanine Mabunda insiste sur le fait qu\’elle pardonne. Sauf un homme : Jean-Marc Kabund-a-Kabund. La bataille entre la présidente de l\’Assemblée et son premier vice-président a dominé l\’actualité pendant des mois. Le FCC de Mabunda a même réussi à destituer Kabund de son bureau de la Chambre basse en mai 2020… En guise de représailles, l\’homme a par la suite manigancé la disparition de son adversaire. Le parti intérimaire de Félix Tshisekedi, l\’UDPS, s\’est créé une place de choix au cœur du pouvoir.
Quelques mois plus tard, l’homme vient d\’être retiré du jeu à son tour, un personnage à la fois stratégique et encombrant. Le siège de l\’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) est le plus connu des sièges des partis politiques regroupés autour du boulevard Lumumba à Kinshasa. Le chauffeur qui arrive est accueilli par une pancarte géante sur laquelle on peut lire \”le peuple d\’abord\”, qui est la devise du parti. Il est ensuite intercepté par un système de sécurité hautement sophistiqué. Car ce sont des militants avec casquette sur la tête et talkie-walkie qui assurent la sécurité et filtrent les automobiles devant l\’énorme portail d\’entrée, pas des militaires ou des policiers. Ces derniers jours, l\’atmosphère au siège de la campagne présidentielle bourdonnante est devenue sensiblement tendue. Le 22 janvier, une longue réunion convoquée par le secrétaire général, Augustin Kabuya, s\’est tenue pour discuter du sujet pressant du jour : la démission de Jean-Marc Kabund du poste de premier vice-président de l\’Assemblée nationale, qui avait été annoncée huit jours auparavant. Une semaine plus tard, après un huis clos tumultueux d\’où plus aucun fait n\’a filtré, la sentence est finalement prononcée : Kabund, qui était une pierre angulaire de la majorité depuis la victoire de Félix Tshisekedi, est démis de ses fonctions de président par intérim et expulsé de l’UDPS le 29 janvier. Le nécessaire est devenu un paria en à peine vingt jours.
Alors que des rumeurs de remaniement circulent à Kinshasa, et que le chef de l\’Etat est tenu d\’approuver les nominations dans les entreprises publiques, de nombreux députés, notamment des transfuges du FCC, craignent que Kabund, leur porte-parole, ne soit écarté. L\’UDPS, qui a fait face à de nombreuses dissensions dans le passé, pourrait également être fragilisée.
\”Je suis le secrétaire général de ceux qui m\’adorent et de ceux qui me méprisent.\” Je ne veux pas voir des combattants s\’affronter. Augustin Kabuya, qui s\’est imposé comme le nouvel homme fort du parti, a déclaré : « Nous devons tous nous aimer ». Les cadres de l\’UDPS s\’affairent ces derniers jours à préparer l\’avenir, notamment autour de l\’incontournable mère du chef de l\’Etat, Marthe Kasalu Tshisekedi, très sollicitée. Car, comme il est de tradition dans la région de Limete, le dernier mot a été rendu à la famille de feu Étienne Tshisekedi, dont le portrait colossal est toujours accroché dans la cour intérieure. Surtout, Mabunda voit la main de Kabund dans une vidéo teintée de racisme qui circulait à l\’époque sur les réseaux sociaux. \”Madame Jeanine doit nous démontrer qu\’elle est une vraie native de l\’Equateur. Pouvons-nous nous déclarer ressortissants et être aussi menue et élancée que la sœur de Paul Kagame ? clame un homme devant les bureaux de l\’UDPS. RDC », déplore l\’individu en question, qui est certain que les attaques dont elle a été victime ont été plus brutales que celles dont aurait été victime un homme. Elle est en terrain connu : elle a été conseillère spéciale de Joseph Kabila pour la lutte contre les violences sexuelles de 2012 à 2018. Sur le perchoir, une femme ?
Plus d\’une personne en a été interloquée. Aujourd\’hui, un diplomate déclare : « Nous pensions à des hommes, jamais à une femme. \”J\’étais chez le coiffeur quand j\’ai reçu un appel d\’un copain du PPRD [Parti populaire pour la reconstruction et la démocratie].\” \”Le secrétaire permanent du parti doit vous voir tout de suite\”, a-t-elle poursuivi. J\’ai dit que c\’était impossible ; parce que je l\’avais rencontré plus tôt dans la journée et que j\’avais d\’autres choses: j\’avais presque des bigoudis sur la tête ! Néanmoins, j\’y ai assisté et Emmanuel Ramazani Shadary m\’a informé que le parti m\’avait choisi comme candidat idéal. Pour qu\’elle soit présentable, cette femme brillante et cultivée doit être plus présentable que certains caciques du régime. Elle peut communiquer dans une variété de langues, dont le néerlandais, ce qui est utile dans l\’ancienne colonie belge. Elle a effectué une partie de sa formation à Louvain, où elle a obtenu une licence en droit, et à Bruxelles, où elle a obtenu un diplôme de l\’Institut des Hautes Études Commerciales (Ichec). Ce n\’est pas par son plaidoyer qu\’elle a pu toucher le cœur du PPRD. Avant de rejoindre la Banque centrale du Congo en 1997, elle a travaillé à la City Bank Zaïre. Une des éminences grises de Joseph Kabila, Augustin Katumba Mwanke, la repère et la présente au chef. En 2007, l\’ancien président la nommera au poste de ministre d\’État, où elle supervisera une série de privatisations.
Bien aimée des chancelleries de Kinshasa, Jeanine Mabunda a aussi un avantage à l\’UDPS : son mari, Odon Mudiayi, connaît bien Félix Tshisekedi. Durant leurs années similaires en Belgique, il fréquente le chef de l\’Etat, lui aussi originaire du Kasaï. \”C\’est une femme très polie, mais ne vous y trompez pas, c\’est l\’un des faucons du PPRD\”, prévient un témoin.
Néanmoins, Mabunda est mécontente dans son propre camp à la suite de sa sélection. Ils vont le lui faire payer : elle avait peu de soutien interne quand elle est tombée. \”Même Kabila n\’a pas bougé un muscle\”, a poursuivi le spectateur. \”Je ne vais pas me plaindre\”, dit Mabunda. Mais, encore une fois, cette histoire parle d\’un sentiment politique de solitude. Mabunda le mentionne lors de ses épiques balades à moto à travers la brousse lors de ses campagnes électorales de 2011 et 2018. Elle remporte un siège à deux reprises dans une Assemblée avec un faible taux de réélection des députés. Depuis, elle est l\’un des rares piliers du parti de Kabila dans cette province, détenue par la famille Bemba depuis des décennies. Les femmes politiques sont souvent dépeintes comme des pom-pom girls, mais nous savons aussi comment gagner.
Est-ce que toutes ces batailles en valent la peine ? dit le narrateur. Lorsque nous nous rencontrons, elle dit quelque chose. Cette ancienne membre du conseil d\’administration de Barrick Gold, une société minière canadienne opérant en RDC dont elle conservait des parts, s\’était récemment éloignée de la politique. Elle est restée seule et a travaillé pour la Brookings Institution, une institution de réflexion aux États-Unis. Elle a affirmé vouloir laisser la place au PPRD à une nouvelle génération. Jeanine Mabunda va-t-elle continuer à s\’effacer alors que le parti de Kabila, inerte depuis qu\’il a perdu la majorité parlementaire, vient de fixer un congrès au mois de juin ? Son nom a été mentionné comme l\’un des acteurs qui pourraient jouer les rôles principaux. Ce probable retour pourrait commencer par son retour à l\’Assemblée nationale. Elle y retrouvera dans les prochains jours son meilleur ennemi, qui vient de rentrer de convalescence au Royaume-Uni ; Jean-Marc Kabund-a-Kabund, autrefois tout-puissant, a été brutalement exclu de son parti. Il a été contraint de démissionner de son poste de premier vice-président de l\’Assemblée nationale après avoir été contraint de quitter la présidence par intérim.
Eric Kuikende, LEO NJO LEO NEWS